Une immersion dans le monde terrifiant de l’intégrisme protestant US : un camp de vacances d’un genre spécial, où les petits Yankees rentrent dans le moule évangélique.
Voici un film d’horreur beaucoup plus terrifiant que Le Nombre 23 ou Le Silence des agneaux. Ce documentaire de Heidi Ewing et Rachel Grady observe pendant plusieurs semaines le quotidien de quelques chrétiens évangéliques américains, et particulièrement celui de Becky Fisher, une grosse mémère à l’air affable et souriant qui poursuit une mission avec passion : enseigner le fondamentalisme protestant à des mômes d’un dizaine d’années parce que c’est dans ces âges-là que les êtres humains sont le plus malléables. Prenant exemple sur les fondamentalistes musulmans qui endoctrinent leurs enfants, Becky Fischer entend répliquer en formant les jeunes Américains pour qu’ils soient conditionnés et prêts à servir l’armée de Dieu. Elément central de son école intégriste sauvage, un camp d’été dans le Dakota du Nord mélangeant vacances et endoctrinement : le “Jesus Camp”. Le film déroule un certain nombre de faits, idées et pratiques évangéliques, et c’est assez spectaculaire. Outre le fait qu’une célibataire désœuvrée du Midwest parvient à se sentir exister en nounou de futures troupes de combat contre l’islam conquérant, on voit des parents retirer leurs enfants de l’école publique pour leur enseigner à la maison que la terre et les hommes ont été créés par Dieu. C’est le créationnisme au quotidien, contre la science. Des gamins et gamines récitent leur bréviaire évangélique comme d’autres le dernier film qu’ils ont vu. A ce propos, Harry Potter est très mal vu chez les évangéliques. On voit aussi, dans des églises gigantesques, des milliers de fidèles entrer en transe, gesticuler, “parler en langues”. Certes, tout cela est vieux comme l’Amérique. Le rock’n’roll lui-même n’est-il pas né d’une attraction-répulsion religieuse, créant sa propre glossolalie avec les increvables “be bop a lula” ou autres “a wop bopa loop bam boum” ? La religiosité extrême et le puritanisme qui l’accompagne ne sont pas nouveaux aux Etats-Unis, mais ils sont en phase de conquête et de développement. Un des traits caractéristiques de l’évangélisme américain est précisément son aspect très… américain. Alors qu’on imagine les intégristes musulmans pratiquant un ascétisme total, les fondamentalistes américains vivent tous les aspects de la culture américaine de l’entertainment et du consumérisme. Ils portent des jeans et des T-shirts, mangent au fast-food, roulent en grosses bagnoles, écoutent du heavy-metal (chrétien, pas sataniste, mais on n’entend pas bien la différence) et leurs messes géantes ressemblent plus à un concert à Bercy qu’à un office à Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Mais c’est précisément là où l’évangélisme est dangereux, en endossant toutes les apparences de la normalité américaine (bien incarnée par les rondeurs de Becky Fischer, la nounou fofolle) et en utilisant les armes communes du marketing et du showbiz. Les petits évangéliques ressemblent à tous les petits Américains. Leur seule différence : leur petit délire de soumission à Dieu. Ce que le film ou Becky Fischer ne disent pas, c’est ce qui se passera chez ces enfants quand ils seront exposés au surgissement hormonal de l’adolescence et au développement de leur propre jugement. On peut toujours nourrir l’espoir mesuré qu’une fois devenus ados, ces enfants ou une partie d’entre eux se rebelleront contre leur famille évangélique. Là où on sourit moins, c’est quand on voit Ted Haggard, le chef des pasteurs évangéliques, quinquagénaire en costard, baraqué, machoire carrée, sourire carnassier, qui aurait pu faire carrière à Hollywood comme successeur de John Wayne ou de Charlton Heston. L’évangélisme, comme tous les intégrismes et toutes les sectes, est avant tout un enjeu de pouvoir et d’argent, un business qui profite à quelques salopards malins, roublards charismatiques. Ted Haggard est par ailleurs un ami de George W. Bush, dont l’effigie en carton est vénérée par les fidèles dans une scène du film. Il y a plus de 80 millions d’évangélistes aux Etats-Unis et leurs réseaux infiltrent tous les centres de pouvoir américains, de la Maison Blanche à la Cour suprême. Pour le moment, ils se “contentent” de cette infiltration, n’ont pas conquis tout le pouvoir ni accompli leur grand dessein politique qui consiste à réunir l’Eglise et l’Etat. Mais s’ils y parvenaient un jour, ce serait un peu comme confier à Dieu la conduite d’un semi-remorque bourré de dynamite et lancé plein pot sur les autoroutes de la géopolitique : un scénario à la Speed qui file un peu les jetons. Tout au long de Jesus Camp, les réalisatrices donnent la parole aux évangélistes, sans le moindre commentaire. Pas de voix off, pas de questions contradictoires. On peut regretter ce choix, penser que cela pourrait faire de la publicité aux évangélistes, comme le remarque à un moment du film Becky Fischer. Nous pensons au contraire que cette option anti-Michael Moore est la meilleure. D’abord parce qu’un bon cinéaste documentaire doit s’intéresser sincèrement à ce ou ceux qu’il filme, y compris, voire surtout, s’il s’agit d’adversaires. Mépriser ce qu’on filme, cela fait du mauvais cinéma, et ce n’est pas éthique, car quand on tient le manche d’une caméra, il est très facile de se montrer supérieur à ceux qui sont du côté de la cognée. En donnant la parole aux évangélistes sans les contredire ou les dénoncer, Ewing et Grady font confiance au regard de chaque spectateur et laissent chacun entièrement libre de son jugement. Néanmoins, il y a quand même un important point de vue contradictoire, mais c’est un intervenant dans le film qui l’apporte (même si ce point de vue est peut-être aussi celui des réalisatrices) : un certain Mike Papantonio, présentateur d’un programme radiophonique chrétien. C’est une excellente idée que d’avoir eu recours à un chrétien plutôt qu’à un athée ou un gauchiste, le point de vue critique n’en est que plus fort. Car de même qu’il ne faut pas confondre les musulmans avec leur frange intégriste, il existe heureusement, y compris aux Etats-Unis, des chrétiens tels que Mike Papantonio qui sont fermement attachés à la démocratie, à la séparation de l’Eglise et de l’Etat, aux progrès de la science, et qui considèrent les évangélistes pour ce qu’ils sont réellement : des fous dangereux. Jesus Camp rappelle qu’en face du danger islamisto- terroriste existe aussi une menace américano-protestante qui pourrait devenir très sérieuse si elle parvenait un jour à contrôler les leviers de commandes d’un pays tel que les Etats-Unis.
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