Le nouveau film d’Im Sang-soo ne possède pas l’unité formelle, l’ironie sans pitié et la force dévastatrice de The President’s Last Bang, le précédent film du réalisateur. C’est par son hétéromorphisme que Le Vieux Jardin (adaptation du roman à succès de l’écrivain Hwang Sok-yong) est un film passionnant, original. La première heure laisse d’abord craindre […]
Le nouveau film d’Im Sang-soo ne possède pas l’unité formelle, l’ironie sans pitié et la force dévastatrice de The President’s Last Bang, le précédent film du réalisateur. C’est par son hétéromorphisme que Le Vieux Jardin (adaptation du roman à succès de l’écrivain Hwang Sok-yong) est un film passionnant, original. La première heure laisse d’abord craindre le pire : on y assiste avec un brin de déception à un mélodrame guimauve et larmoyant plutôt mal filmé – avec tics esthétisants très eighties, dont l’exemple le plus flagrant est l’éclairage d’une pièce à l’aide d’une porte de réfrigérateur entrouverte… –, à une histoire d’amour malheureuse guère passionnante entre un jeune homme et une jeune femme, sur fond de révolte de la jeunesse du début des années 80 en Corée du Sud (le film se situe chronologiquement juste après les événements de The President’s Last Bang, qui décrivait l’assassinat du président tyran Park Chung-hee). Si le film continuait sur cette lancée, il serait voué à l’échec. Mais Im Sang-soo n’est pas idiot. Le film change de ton, passe sans crier gare de l’eau de rose à l’acide quand il se désintéresse un instant de l’intime pour se tourner vers le collectif, comme si le cinéaste sud-coréen reprenait du poil de la bête, et surtout se retrouvait sur son terrain – plus il y a de personnages, et plus l’auteur d’Une femme coréenne semble à l’aise. Les scènes décrivant la répression policière contre les étudiants sont filmées avec une maestria (d’artisan hollywoodien filmant une attaque de château fort) et une force d’évocation impressionnantes, qui ne dissimulent rien de ce que signifie l’expression “violence aveugle”. Du coup, en confrontant et en alternant ces deux registres d’images, le film change de visage, prend du relief. Il y a d’ailleurs une belle image qui donne peut-être la clé de la mise en scène : celle d’une main dessinant un visage au crayon sur une toile de peintre (l’héroïne est artiste). Le trait est d’abord à la surface de la toile, et c’est seulement en insistant, en repassant plusieurs fois son crayon que le noir de la mine finit par atteindre et impressionner le creux du tissu. Le récit du Vieux Jardin, éclaté temporellement, réinjectant plusieurs fois des scènes qui se ressemblent, va ainsi du simple vers le compliqué, du superficiel vers le profond, et s’enrichit peu à peu de détails pour finalement dresser un portrait poignant, plurivoque, ambigu d’une société gangrénée par la haine et l’oubli des drames mais qui, notamment grâce à l’art (il ne faut en aucun cas quitter la salle sans avoir regardé le générique de fin et ses portraits, qui sont le point d’orgue du film), peut retrouver ses bases, en reconstituant le passé, une filiation, une généalogie. Alors oui, Le Vieux Jardin a des défauts. Mais ils ne doivent pas nous empêcher de voir ses grandes qualités.
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