Le réalisateur danois retrouve enfin son pays avec une comédie décapante dont il accentue l’absurdité en jouant au mauvais cinéaste.
Le nouveau von Trier est arrivé. Il y a quelques années, une telle nouvelle aurait suscité un certain émoi. Mais depuis le premier volet (Dogville) et surtout le deuxième (Manderlay) de sa trilogie théâtrale sur l’Amérique, pensum indigeste, le cinéaste danois a un peu dégringolé de son piédestal. Avec Le Direktør, il tente d’y remonter en feignant encore une fois l’humilité. A l’occasion, il renoue avec sa langue natale, le danois, qu’il avait perdue de vue (et d’ouïe) depuis Les Idiots. D’où la modestie du projet, comédie vernaculaire qu’on peut situer quelque part entre sa série The Kingdom et, précisément, Les Idiots – ses meilleures oeuvres, car teintées de bouffonnerie.
Et von Trier est avant tout un humoriste, un satiriste, un burlesque rentré. Ses mélos torturés sont de longs gags pervers, des private jokes malades. Ici, il livre une sorte d’équivalent très personnel, très absurde, et très jubilatoire il faut le dire, de la série The Office ou Le Bureau, en orchestrant une pagaille dans une fourmilière ; en l’occurrence dans une entreprise informatique, où déboule le directeur, que personne n’avait jamais vu.
Mais il y a anguille sous roche. Le vrai patron, Ravn, qui cachait sa fonction à ses employés pour pouvoir mettre tous les problèmes sur le dos d’un fantôme, est contraint de faire exister ce personnage factice, car il va vendre sa société à un Islandais irascible qui exige de signer avec le directeur. Pour cela, Ravn engage un acteur au chômage, Kristoffer, le chargeant de tenir cette fonction. Cela provoque une réaction en chaîne. Kristoffer devient le bouc émissaire : il est frappé par un employé, violé par une autre, et contraint de se fiancer à une troisième.
Cette farce qui pourrait ressembler a contrario à un plaidoyer pour la dictature est évidemment un jeu pervers permettant à LVT d’en rajouter dans l’absurde et l’hystérie. C’est très amusant. Par ailleurs, comme le cinéaste est tordu, la technique employée ici est aussi une métaphore du sujet. En effet, LVT s’est passé de directeur de la photo et a confié le cadre aux aléas d’un programme informatique. Au générique, on lit : “Directeur de la photo : Automavision ©” (sic).
LVT, qui en revient à sa vieille fascination pour l’amateurisme, à l’origine du Dogme, joue à fond sur les décadrages. Non seulement ses raccords sont comme d’habitude des jump-cuts brutaux, mais le film est en-deçà de toute norme professionnelle. Fuyant la maîtrise, son péché mignon, von Trier cadre n’importe comment dans Le Direktør, en assurant qu’il n’y a pas de pilote dans l’avion – tout comme le directeur de son histoire prétend qu’il n’y a pas de directeur… Procédé technique et intrigue sont au diapason, accomplissant parfaitement leur travail de sape émotionnel, tout comme l’expressionnisme associait la psyché des personnages à des décors biscornus. Bref, LVT reste un cinéaste stimulant, un boute-en-train du septième art, toujours prêt à sortir une langue de belle-mère pour nous éviter un confort lénifiant.
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