La guerre d’indépendance en Irlande dans les années 20 à travers les déchirements de deux frères.Habile dans sa mise en place, conventionnel dans sa résolution.
Si la Palme d’or était censée mettre en avant ce que le cinéma possède de plus novateur et de plus pointu sur le plan artistique, que nous dirait le dernier film de Ken Loach, grand gagnant cannois, de l’état d’avancée du cinéma dit d’auteur ? Qu’il n’avance pas beaucoup justement mais stagne sur des eaux bien trop familières et sûres pour que l’on puisse y sentir frémir le moindre petit courant agitateur.Or, même si de temps à autre on se laisse submerger par des vagues de pessimisme, les quelques embruns cinématographiques vivifiants que l’on reçoit régulièrement des quatre coins du monde ne témoignent pas d’une telle sclérose mais signalent, au contraire, que circule toujours de part et d’autres un peu d’air frais. Pourquoi le palmarès lui ferme-t-il sa fenêtre ? Au vu du Vent se lève, on peut avancer au
moins deux hypothèses hélas guère nouvelles.Il y a d’abord celle qui veut que l’on récompense, au-delà du film, l’auteur avec un grand A, et en ce qui concerne Loach, qui a signé dans sa carrière de meilleurs films (et de moins bons aussi), il y a forcément un peu de ça. Et puis, il y a celle qui veut que l’on couronne la grandeur d’un sujet, ce qui est sans doute le cas aussi ici puisque le film traite de la résistance opposée par l’Irlande pauvre contre le joug anglais dans les années 20. On ne saurait pour autant envisager Le vent se lève que sous l’angle d’un choix cannois purement consensuel. Car si le film ne répond pas aux critères attendus d’une Palme, il n’en demeure pas moins pourvu de qualités. Toute sa première moitié, consacrée à suivre la naissance d’un groupe de résistants irlandais au sein de l’IRA, s’avère même plutôt réussie. De ces jeunes hommes, on ne saisit pas tout de suite les traits physiques et caractériels ni les liens de parenté, même si l’on comprend vite qu’ils ont grandi ensemble, dans la même misère. Aux présentations en bonne et due forme, Loach préfère une entrée dans l’action plus abrupte. En laissant émerger progressivement les personnages, le cinéaste privilégie une mise en place presque tacite du mouvement collectif qui va unir ces hommes. Ce souci du collectif est d’autant plus beau qu’il n’entrave aucunement la mise en relief de destins individuels. La mise en scène capte bien cette belle articulation entre le groupe et l’individu qui constituera l’un des enjeux politiques fort du film : comment faire corps, parmi et sans les autres, avec ses convictions profondes. Mouvements infimes d’adhésion et de détachement se dessinent alors dans les ellipses du montage et la sobriété de plans sombres, suggérant l’engagement et la prise de conscience des événements en cours. Vers le milieu du film, Damien, jeune médecin que Loach détache délicatement du groupe de résistants, déclare à son amie : “Je viens de franchir un cap, je ne ressens plus d’émotions. »C’est à peu près à ce moment-là que le film bascule lui aussi en ne creusant pas cette question de l’annihilation de l’émotion après avoir atteint un certain degré de violence. Au stade le plus actif de la lutte, le cinéaste britannique semble ne plus avoir grand-chose à proposer quant à l’implication des corps et âmes dans ce chaos, et nous livre une approche beaucoup plus conventionnelle de l’engagement des personnages. Le sujet prime alors sur son traitement et, même si le scénario s’avère irréprochable, celui-ci ne trouve plus de terrain d’expression formel convaincant. Le vent s’est levé, oui, mais il est retombé un peu trop rapidement pour ébranler de tout son souffle les éléments mis sur son chemin et encore moins l’establishment cannois.
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