Peintre des mythologies pop de l’Amérique et du rock, de Bowie à Daho, l’artiste belge Guy Peellaert est décédé hier.
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Coïncidence funeste qui ferait presque croire à de la télépathie : la semaine dernière, j’écrivais ma chronique de Two Lovers en pensant assez fort à Guy Peellaert, certains plans du Brighton Beach de James Gray m’évoquant les chromos new-yorkais de l’illustrateur belge, notamment ses tableaux consacrés aux Drifters. Des séquences entières du nouveau film de Gray pourraient s’appeler Up on the Roof, Under the Boardwalk, On Broadway ou Save the Last Dance for Me.
J’y pensais tellement qu’en revenant sur le film dans mon blog, je citais explicitement Peellaert et son Rock Dreams. Une fois mon post mis en ligne, j’allais surfer sur Libé.fr où bang ! j’apprennais le décès de l’artiste qui venait juste de hanter ma mémoire. Libé illustrait sa nécro avec un superbe rock dream : Dylan muré dans une limousine filant dans la nuit new-yorkaise. La grand-mère de Bobby Zimmerman était originaire d’Odessa, comme les ancêtres et les personnages de James Gray, dont le film inaugural s’intitule Little Odessa, du nom du quartier de Brighton Beach. La ronde d’échos secrets continuait.
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Guy Peellaert devait une bonne part de sa notoriété à ses pochettes de disques. Le Diamond Dogs de Bowie, le It’s Only Rock’n’roll des Stones (pas la plus réussie) ou le Pour nos vies martiennes de Daho, c’était lui. Sur celle-là, Daho rêvé Eddie Cochran déambulait dans une quelconque foire du Trône : les mythologies américaines électrifiant notre réalité française, c’était du pur Peellaert, grand rêveur transatlantique. On lui devait aussi le très beau générique de Cinéma cinémas (qui vient de sortir en DVD, tiens ! c’est décidément le mois Peellaert, hélas), les affiches de Taxi driver ou des Ailes du désir.
Peellaert, c’est surtout Rock Dreams, fabuleuse machine à rêver. Tableaux iconiques, électriques, tout « le sex-appeal du néon et du formica » disait-il, « la Chapelle Sixtine du rock » comme l’avait écrit je ne sais plus quel critique. Entre le statisme mystérieux de Hopper, l’énergie des publicités, la luminosité des flippers, l’iconolâtrie d’images pieuses et la souillure iconoclaste de toute la teenage culture ultra sexuée de l’après-guerre, sueur, sperme et huile de vidange, Rock Dreams a tout compris du rock’n’roll, de la tension érotique de ce récit biblique moderne entre sabbat paien et sainteté. Les haikus laconiquement ciselés de Nik Cohn complètent le chef-d’œuvre.
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Le duo récidivera vingt ans après avec Rêves du XXème siècle, appliquant leur idée à toute la médiasphère et la people culture. A la place d’Elvis ou Jagger, d’autres icônes telles que Jackie Kennedy ou Mohammed Ali : superbe aussi, mais d’un impact moindre dans une époque passée à autre chose. Ne pas oublier non plus The Big Room, ou Las Vegas vu par un fils d’Edward Hopper. Pas tant la façade scintillante que son envers flippant – couloirs d’hôtels mélancoliques, lendemains de cuite, solitude inquiétante des stars. Les textes sont cette fois de Michael Herr.
J’avais rencontré Guy Peellaert au début des années 90. Il m’avait accueilli quelques heures dans sa tannière près de Bastille, raconté sa vie son œuvre d’une voix très douce, puis invité à déjeuner. Ce n’est pas un rêve, mais un vrai beau souvenir bien réel. Son décès, c’est nos années de légende rock qui fânent un peu plus, un ampli qui se débranche, une rampe de plateau hollywoodien qui s’éteint, un neon de billboard qui court-circuite, un flash de reporter qui claque. Salut, doux rêveur.
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