Le Samoura

Un film de musée, polar épuré et splendide que le monde nous envie. Une œuvre presque trop parfaite…
Malgré ­ ou grâce à ­ son orientalisme de pacotille et ses faux proverbes zen, Jean-Pierre Melville, être de fiction qui s’était forgé de toutes pièces un nom et une silhouette, a fortement influencé un cinéaste asiatique comme John Woo, lequel a été à son tour un des mentors de Tarantino. Cela pour dire que, à force de bluff génial et d’imitation, un artiste peut parfois devenir à son tour un maître influent. Et Melville est le seul cinéaste français (avec Becker, qui n’était pas un spécialiste du genre) à avoir créé des prototypes de polars et/ou de films aussi noirs que singuliers. Tellement singuliers qu’après une série de splendeurs comme L’Armée des ombres, Le Deuxième Souffle ­ sommet jamais dépassé ­ ou Le Doulos, Melville eut tendance à s’autoplagier, c’est-à-dire à diluer son génie dans la répétition, et à frôler le maniérisme. C’est un peu le cas de ce Samouraï, son œuvre la plus célèbre, qui, certes splendide, n’a pas la vigueur brute et nue de ses premiers films. On chipote car on a affaire à un grand maestro. Mais on ne peut pas s’ôter de l’idée que le mythique Jeff Costello (Delon), tueur solitaire qui crèche dans un appartement glauque et élève un canari dans une cage, est plus une icône qu’un personnage. En même temps, la folle abstraction du film, et surtout la trajectoire de Costello, ses déplacements incessants dans Paris, sa manière de garer sa voiture, bref, le côté bressonien qui a toujours fait la force des films de Melville, le sauve du pittoresque du réalisme poétique qui lui pend au nez. Le cinéaste, qui adorait inventer des « koans » ou des haïku, n’avait rien à faire de la poésie triviale et populaire.

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