Reprise d’un chef-d’œuvre inspiré par Humiliés et Offensés de Dostoïevski.
La misère, imposante, obscène, et un lieu, quasiment unique. Il est intéressant de voir comment, avec un point de départ similaire, deux immenses réalisateurs japonais divergent dans leurs visions du monde. Dans La Rue de la honte, situé dans un bordel où des prostituées tentent de survivre, Mizoguchi déploie un univers d’une cruauté et d’une noirceur implacables. Pas l’ombre d’un espoir dans ces ruelles sinistres ; une réalité sans rémission, des êtres dépendants et détruits, presque fantomatiques, s’imposent à nos yeux sidérés. L’humanité selon Kurosawa n’est pas forcément plus guillerette. Il nous semble croiser également plusieurs fantômes, poser nos pieds au milieu des décombres, poussiéreux et informes, de vies en ruine, mais l’éclairage n’est pas tout à fait le même. On découvre l’hospice dirigé par l’imposant Barberousse en même temps que le jeune docteur Yasumoto. Nous sommes à la fin du XIXe siècle, la pauvreté et la mort se répandent salement le long des murs et imprègnent de leurs odeurs nauséabondes les narines du visiteur, dégoûté et bien décidé à fuir ce lieu abject. Malgré ce tableau de désolation, l’humanité n’est,
ici, pas totalement perdue. La lumière des bougies éclairant les chambres de l’hospice est révélatrice de la possibilité d’une chaleur, d’un espoir. Des vies vibreront, une dernière fois, dans cette fragile lueur et retrouveront par la parole une forme de dignité. Si ce chef-d’œuvre bouleverse autant, c’est parce qu’il comprend comme nul autre les contradictions humaines, accordant une place égale à chaque personnage, sans jugement aucun. Jamais on n’aura vu la laideur et la beauté du monde se tenir si près l’une de l’autre.
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