RÉTROSPECTIVE HANS JÜRGEN SYBERBERGA ParisUn cinéaste capital des années 70, dont l’exigence politique et philosophique se double d’un foisonnement sonore et visuel. La grande manifestation pluridisciplinaire qu’organise Beaubourg autour des films et du travail artistique de Hans Jürgen Syberberg va permettre de redécouvrir un cinéaste qui a considérablement marqué le cinéma des années 70. Hormis […]
RÉTROSPECTIVE HANS JÜRGEN SYBERBERG
A Paris
Un cinéaste capital des années 70, dont l’exigence politique et philosophique se double d’un foisonnement sonore et visuel. La grande manifestation pluridisciplinaire qu’organise Beaubourg autour des films et du travail artistique de Hans Jürgen Syberberg va permettre de redécouvrir un cinéaste qui a considérablement marqué le cinéma des années 70. Hormis quelques rares projections à la Cinémathèque et des traces critiques importantes (Deleuze, Daney), Syberberg avait disparu de la surface de la planète cinéphilique, caché quelque part entre son site Internet, les films inédits et les installations muséographiques. Né en 1935 en Poméranie orientale, Syberberg travaille d’abord à la télévision de Munich, pour laquelle il réalise de nombreux documentaires. Dès ses premiers essais, Syberberg n’a qu’un seul sujet : l’Allemagne, ses mythes, sa culture et son histoire. Toujours, le passé (lire le nazisme) étreint le présent d’une ombre néfaste. Dans une trilogie essentielle, Syberberg s’intéresse à Louis II de Bavière (Ludwig, requiem pour un roi vierge, 1972), à Karl May, écrivain populaire du XIXe siècle (Karl May, à la recherche du paradis perdu, 1974) et, bien sûr, à Hitler, dans son film le plus important, Hitler, un film d’Allemagne, en 1978.Le chef-d’œuvre de Syberberg est un impressionnant travail de deuil, un exorcisme filmique de plus de sept heures dans lequel Hitler apparaît sous différentes formes, toutes antinaturalistes (marionnette vociférante, mannequin, führer de Celluloïd sur des photogrammes d’archives), raconté par ses domestiques ou voix hors champ des discours hurlés. Dans cette gigantesque scénographie funèbre, Syberberg dresse avant tout le portrait de Hitler en rival, c’est-à-dire mauvais cinéaste, metteur en scène de l’Allemagne nazie et de sa propre image de chef charismatique, profanateur des mythes germaniques. C’est un film de désespoir, puisque Syberberg est un cinéaste d' »après la catastrophe ».
Au début de Hitler…, un bonimenteur de cirque tout droit sorti de Lola Montes annonce le programme et les intentions de Syberberg. Le spectateur est convié à une « joyeuse apocalypse, une expérience de fin du monde, quelque chose sur notre société de loups », « pas un film catastrophe, mais la catastrophe faite film…, fin du monde, déluge, cosmos à l’agonie ». Le spectateur, épuisé mais comblé, a effectivement droit à tout ça, et plus encore.Les biographies filmées de Syberberg se refusent à la reconstitution historique stricte ou au pur documentaire. On se trouve également à mille lieues de la mode rétro qui fustige les horreurs du nazisme en se vautrant dans l’imagerie la plus perverse ou dans la fiction de gauche, enfonçant les portes ouvertes de la dénonciation sans la moindre idée valable sur la représentation cinématographique. Ce sont des fresques qui tissent des réseaux d’informations contradictoires et d’inégale valeur, parfois à la manière d’enquêtes, parfois d’allégories. Inspirés par les écrits de Walter Benjamin, qui analysait les rapports entre cinéma et totalitarisme, les films de Syberberg s’élèvent contre la dictature esthétique de la production dominante. Il est évident pour le cinéaste que le capitalisme, les médias et Hollywood constituent après le nazisme de nouvelles forces d’asservissement contre lesquelles il faut lutter. Syberberg invente donc une nouvelle façon de faire des films et de mettre en scène l’histoire, qui puise sa source dans les origines foraines du cinéma, chez Méliès et même dans le précinéma, dans les lanternes magiques et les spectacles d’ombre et de lumière.
Produit sous le règne de Toscan à la Gaumont, son opéra filmé Parsifal, d’après Wagner, est le seul qui survive au diktat de la postsynchronisation des chanteurs, puisque cette dissociation des voix et des corps humains, transformés en automates évoluant dans un décor de statues géantes, est au cœur même du projet de Syberberg. Le cinéaste systématise les dispositifs de distanciation, organise des mises en scène proches de l’opéra ou de l’installation d’art contemporain. Il a recours aux décors miniatures et aux maquettes dans Karl May…, mais c’est surtout son utilisation révolutionnaire du vieux procédé des transparences acteurs filmés devant des rétroprojections ou des diapositives qui lui permet d’instaurer un rapport inédit entre l’image et la parole. Politique et philosophique, l’œuvre de Syberberg est pourtant tout sauf austère, et son exigence s’accompagne d’un foisonnement visuel et sonore capable d’enflammer les sens. Ses films sont des réflexions d’intellectuel, ambiguïtés incluses, mais également des rêves, ainsi que des cauchemars d’artiste dont la durée et l’intensité conduisent le spectateur dans des états très proches de l’hallucination.
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Rétrospective jusqu’au 2 juin de vingt-deux films ; installation-exposition Syberberg/Paris/Nossendorf jusqu’au 9 juin au Centre Pompidou.
Syberberg/Paris/Nossendorf, ouvrage coédité par le Centre Pompidou et Yellow Now.
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