Huston a fait plus triste que son Gens de Dublin final : ces Misfits, où le scénario pervers de Miller et les corps fatigués de Monroe et Gable portent la mélancolie à son paroxysme.
A sa sortie, on a beaucoup reproché aux Désaxés d’être un film trop bavard. Et effectivement, le scénario d’Arthur Miller est saturé de dialogues. D’une morbidité et d’une perversité confondantes. Pour la première scène de Marilyn par exemple, dont il venait de se séparer, Miller lui fait répéter son divorce devant un miroir…
Un film bavard donc, c’est vrai. Mais les corps parlent. Clark Gable n’est pas un cow-boy fringuant, mais un vieil homme fourbu (il mourra deux jours après le tournage). Montgomery Clift pue la fêlure à des kilomètres. Et Marilyn a 35 ans, ce qui, vu son régime anxyolitiques-bourbons, était déjà beaucoup. Plus que jamais, The Misfits est donc le film où l’on peut constater à quel point sa beauté était une construction, une mise en scène. Chevelure platine, soutien-gorge en béton armé, faux cils épais, robe structurant la silhouette. On est au bord du travesti. Elle va mal, et Miller, décidément pervers, se sert de tout ce matériau névrotique pour nourrir le personnage. Et de fait, de la première à la dernière scène, elle est absolument déchirante, qu’elle danse seule sous les arbres, hurle à la mort pour sauver les mustangs de l’abattoir, ou lâche innocemment cette réplique : « Nous mourons à chaque seconde, n’est-ce pas ? » Elle aussi mourra bientôt, ce qui contribuera à la légende noire qui a suivi le film. Si la mise en scène de John Huston mérite d’être saluée (il faut avoir des couilles pour faire la loi sur un tournage pareil), on insistera spécialement sur l’admirable photo de Russell Metty.