Revenant à la série qu’il avait créée, Michael Mann la magnifie pour le grand écran avec une splendide histoire d’amour impossible. Un blockbuster élégant, inventif et émouvant.
Plus que la série télévisée des années 80 dont Miami Vice est l’adaptation pour le grand écran, c’est surtout avec les précédents polars de Michael Mann que la comparaison s’impose. Tant mieux.
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Le Solitaire, Le Sixième Sens, Heat, Révélations, Collateral, et aujourd’hui Miami Vice, Mann a signé de magnifiques thrillers urbains dans lesquels chaque élément de la mise en scène semble procéder à une déréalisation d’un matériau documentaire. Les nappes sonores et musicales, les strates d’images flottantes, les plans hypercomposés parviennent à créer des films atmosphériques et planants, véritables rêves éveillés percés d’éclairs de violence.
Le cinéaste semble parfois hésiter entre l’efficacité dramatique et la quête de la pure expérience sensitive, le besoin de raconter une histoire solide avec de grands acteurs (nous sommes à Hollywood) et le désir de composer des plans vertigineux à la manière d’un peintre, d’un musicien, d’un architecte, d’un artiste. Miami Vice n’échappe pas à la règle et menace parfois de basculer dans la vacuité ornementale.
Mais sa beauté et son originalité, même en regard des précédents polars de Mann, sont ailleurs. On pouvait penser que Michael Mann était un cinéaste dont la forme de ses films était devenue leur sujet même. Ce n’est pas un hasard si son style s’épanouit plus particulièrement dans le néo-film noir, qui regorge d’histoires prétextes à magnifier les archétypes du polar urbain et ses nouvelles déclinaisons high-tech et contemporaines (profiler et serial killer dans Le Sixième Sens, braqueurs professionnels dans Heat, agents infiltrés chez les narcotrafiquants d’Amérique centrale dans Miami Vice).
Pourtant Miami Vice se révèle plus complexe. Un des thèmes du film (les réseaux internationaux des cartels de la drogue) est magnifiquement mis en scène par le cinéaste qui s’amuse à fusionner, juxtaposer ou brouiller les espaces et les ambiances, jusqu’à créer un univers dans lequel les frontières sont abolies et les personnages circulent ou communiquent en toute impunité, au-dessus des lois et des contingences.
Au point que l’anonyme Miami elle-même finit par s’effacer de la topographie du film, sans qu’on s’en aperçoive vraiment, remplacée par d’autres décors de villes, de ports, de plages ou de boîtes de nuit. Après un poème dédié à Los Angeles (Collateral), Mann filme le monde comme un immense terrain de jeux pour adultes où s’échangent l’argent, la drogue, la vie et la mort. On retrouve dans Miami Vice un peu de cette fibre documentaire qui structurait les premières images du cinéaste (ses reportages, ses débuts à la télévision, et même ses séries policières), dans son ambitieux sujet géopolitique d’abord, mais aussi au détour des hallucinantes scènes de violence.
La caméra se retrouve soudain sur le siège arrière d’une voiture déchiquetée par les impacts de balles ou portée à l’épaule, à hauteur d’un fusil automatique crépitant. Pionner de la HD, Michael Mann l’utilise à nouveau avec une maîtrise et une inventivité éblouissantes en mettant à profit l’enseignement du tournage exclusivement nocturne et quasiment expérimental de son précédent film Collateral.
Et nos deux flics ami-ami ? Le premier (Jamie Foxx, pas mal) suit à la ligne le cahier des charges : flic intègre, coéquipier solide, époux exemplaire, il symbolise tout à la fois un fantasme de professionnalisme total et la pure fonctionnalité propres au blockbuster hollywoodien. L’autre (Colin Farrell, très bien) va nous surprendre et nous passionner davantage (et Mann aussi). Non parce qu’il interprète le flic tête brûlée, attiré par le côté obscur de la force (classique), mais parce qu’il tombe amoureux de manière totalement irrationnelle (mais pas improbable) de la femme d’affaires trempée jusqu’au cou dans le cartel qu’il est censé démanteler, l’interlope Isabella (sublime Gong Li).
Et l’on y croit à fond, car Michael Mann sait aussi filmer le désir et l’amour, toujours à deux doigts du cliché (comme Antonioni ?), et reste capable de nous émouvoir en osant des scènes extraordinaires (l’escapade à La Havane). Cette dimension romantique de l’amour impossible était déjà effleurée dans Heat (avec le personnage de De Niro), elle s’épanouit dans Miami Vice de la plus belle et inattendue façon.
MIAMI VICE – DEUX FLICS À MIAMI de Michael Mann, avec Colin Farrell, Jamie Foxx, Gong Li (E.-U., 2 h 15, 2005).
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