Trois films mythiques : produits par Andy Warhol, écrits et réalisés par Paul Morrissey, interprétés par la bombe Joe Dallessandro. Contemporain, forcément contemporain. Voilà trois films dont on parle tout le temps mais que peu ont réellement vus. Dans le premier, Flesh, tourné en 1968, une splendeur mâle, Joe (Dallessandro bien sûr, mélange incandescent de […]
Trois films mythiques : produits par Andy Warhol, écrits et réalisés par Paul Morrissey, interprétés par la bombe Joe Dallessandro. Contemporain, forcément contemporain.
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Voilà trois films dont on parle tout le temps mais que peu ont réellement vus. Dans le premier, Flesh, tourné en 1968, une splendeur mâle, Joe (Dallessandro bien sûr, mélange incandescent de virilité et de grâce, Tom of Finland revu et corrigé par Michel-Ange), tapine dans les rues de New York pour subvenir à ses besoins, ainsi qu’à ceux de son bébé et de sa femme, Geraldine, qu’il partage avec une autre femme, Patti. Mais cinq lignes de résumé, c’est déjà trop, tant le film ne peut se réduire à une intrigue. On n’est pas dans le cinéma narratif, et peut-être même pas dans le cinéma.
Depuis quelques années, au sein de sa fameuse Factory, Andy Warhol a initié une série de films censés rompre avec le cinéma traditionnel : avec sa narration, mais aussi son star-system, son montage, voire le concept même de mise en scène. Résultat : non seulement il n’y a pas d’intrigue, mais il n’y a pas de mise en scène au sens classique du terme.
On pourrait croire que les plans se retrouvent là par hasard, que les « plops » de la bande-son sont dus à des insuffisances techniques, que le jeu hésitant des acteurs vient de leur maladresse. Rien de tout cela, évidemment. Le générique à la Jenny Holzer nous informe que le film est produit par Warhol, mais « écrit, photographié et réalisé par Paul Morrissey ». Ce film a donc un auteur, et le mot « auteur » doit être ici pris dans son sens le plus fort. A l’opposé du cinéma hollywoodien qui, à force d’artifices, crée « un mensonge qui dit la vérité », Morrissey descend dans la rue, tombe sur Dallessandro, et en fait le sujet de son film. Est-ce pour autant un documentaire sur Dallessandro et ses amis ? Non plus. Ce n’est pas parce que le montage n’est pas conventionnel qu’il n’y a pas de montage. Morrissey part de la réalité, mais la recompose, la réarrange pour aboutir à du spectacle.
Ça ne vous rappelle rien ? La télé-réalité, bien sûr. Si Wahrol avait un seul talent, c’était bien celui de visionnaire de la société du spectacle. Le fameux « quart d’heure de gloire » auquel chacun aurait droit se réalise aujourd’hui de façon éclatante avec les Star Academy et autres Popstars. Selon Warhol, on n’existait que si son image avait été imprimée sur la pellicule. Choisir des gens dans son entourage, les filmer dans leurs gestes quotidiens, avec leurs propres noms, leurs propres vêtements, tout cela préfigurait Loft Story. Comme les producteurs de télé-réalité, Warhol et Morrissey sont des vampires (voir à cet égard les titres de leurs derniers films : Du sang pour Dracula et Chair pour Frankenstein).
Ces personnages qu’ils sont allés chercher dans la vraie vie, ils les ont brûlés sur la pellicule. Un seul exemple : Dallessandro, qui ne se droguait pas avant de tourner la trilogie, s’est retrouvé accro à force de tourner des scènes de shoot. On voit donc ce qui attend éventuellement les candidats des shows de télé-réalité. Mais Dallessandro se venge à sa façon : c’est son corps qui a le mieux vieilli dans ces trois films. Et là, il faut louer le regard de Morrissey, qui n’hésite pas à zoomer sur les détails les plus sublimes : le rose aux joues, la toison pubienne, le bandeau rouge dans les cheveux, la mèche sur les yeux, l’ourlé de la bouche, un muscle qui se contracte, une aisselle à la peau claire, etc.
Là est la grande différence avec le flux de la télé-réalité : c’est parce que Morrissey pose un regard unique sur le corps de Dallessandro qu’il est un auteur. Le tapin, les shoots, les pipes, toutes ces scènes qui pourraient s’avérer seulement pathétiques ou voyeuristes sont transcendées par sa caméra dans un mélange sensible de tendresse, de compassion et d’érotisme. C’est donc d’autant plus triste de savoir qu’il renie aujourd’hui tout ce travail. Cela dit, outre leurs qualités intrinsèques, revoir ces films comme des documents nous interpelle : qu’avons-nous fait de l’héritage des années 70, années de la libération sexuelle et de la contre-culture ?
Si l’on doit n’en voir qu’un, lequel ? Sans hésitation, Flesh, le plus bricolé mais le plus sincère, truffé de plans d’une force sans équivalent par la suite. Trash, tourné deux ans plus tard, sent déjà plus le procédé. Et puis Dallessandro a perdu un peu de la grâce juvénile des débuts. Il reste beau, mais de façon plus consciente, plus « pute ». En revanche, il y a davantage de distance, voire d’humour, dans Trash que dans Flesh, et il était temps. Joe n’est plus ce dieu absolu, mais un drogué qui n’arrive pas à bander.
Enfin, Heat, qui clôt la trilogie en 1972, vaut le détour comme remake informel de Sunset Boulevard : Sylvia Miles en actrice vieillissante s’y entiche de Joe devenu Joey, qui rêve d’une carrière de rock-star. Une façon de boucler la boucle : au départ, c’est Flesh qui fit l’objet d’une sorte de remake par l’industrie hollywoodienne, Macadam Cowboy, en 1969.
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