Un film mythique, enfin restauré, une parabole politique frisant l’abstraction, dans la lignée de grands modernes comme Bresson ou Melville. “Invasion est la légende d’une ville, imaginaire ou réelle, assiégée par de puissants ennemis et défendue par une poignée d’hommes, qui peut-être ne sont pas des héros. Ils lutteront jusqu’à la fin, sans soupçonner que […]
Un film mythique, enfin restauré, une parabole politique frisant l’abstraction, dans la lignée de grands modernes comme Bresson ou Melville.
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« Invasion est la légende d’une ville, imaginaire ou réelle, assiégée par de puissants ennemis et défendue par une poignée d’hommes, qui peut-être ne sont pas des héros. Ils lutteront jusqu’à la fin, sans soupçonner que leur combat est infini. » Ainsi résume Jorge Luis Borges, coauteur du scénario avec un autre grand romancier argentin, Adolfo Bioy Casares, la trame de ce film mythique de 1969 enfin restauré.
Intrigante plus que réellement captivante, cette histoire à la fois abstraite, allégorique et concrète, matérialisée par les incessants déplacements des personnages en fuite et en lutte dans Buenos Aires, peut évidemment se lire comme une vision prémonitoire de la dictature militaire qui fit tomber une chape de plomb sur l’Argentine pendant six terribles années (1976-1982). Certains détails sont troublants : le stade de football, lieu favori des fascistes voisins du Chili pour parquer leurs victimes, ou l’évocation précise de la torture à l’électricité. Mais on ne doit pas réduire le film à cet aspect visionnaire. Il est à la fois plus vaste et plus insaisissable qu’une simple prédiction politique. Invasion ressemble avant tout à un jeu de l’oie à l’échelle d’une ville, Buenos Aires, rebaptisée Aquilea le plan détaillé des rues qui figure sur un mur chez Don Porfirio, mastermind de cette aventure clandestine où un groupe se débat contre une adversité invisible, l’indique clairement. Des hommes en costume se réunissent, complotent, puis en attaquent d’autres, tentent de s’emparer d’un poste émetteur, etc.
Une œuvre froide et elliptique fondée sur la circulation, les trajets, les trafics, les regards. Noir et blanc contrasté, souvent nocturne, mettant en valeur l’architecture urbaine sorte de labyrinthe quadrillé aux parois duquel les hommes se heurtent comme des insectes et les incessants trajets en auto, les poursuites et fusillades. Très peu de sentiments, juste quelques présences féminines, énigmatiques, doubles. Cet univers parapolicier, proche de celui de Jean-Pierre Melville, est découpé par des cadrages rigoureux et tranchés, avec des acteurs au jeu souvent atone à la Bresson (dont Hugo Santiago fut l’assistant).
On pense à tous les grands modernes de l’époque, d’Antonioni à Godard (surtout Le Petit Soldat). Mais le film possède en sus une irréductible singularité due à ses auteurs : Borges pour le caractère inextricable et cyclique du récit, Bioy Casares pour l’angoisse, l’enfermement et la menace (presque humoristique quand un des personnages dit : « Attention, il me semble entendre une guitare. ») Bref, un étrange mythe moderne, une sorte d’Illiade sans héros et sans drame.
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