PALMARES OFFICIEL Palme d’or Le vent se lève de Ken Loach Grand prixFlandres de Bruno Dumont Prix d’interprétation fémininePenélope Cruz, Carmen Maura, Lola Due as, Chus Lampreave, Yohana Cobo et Blanca Portillo pour Volver de Pedro Almod’var Prix d’interprétation masculineJamel Debbouze, Samy Naceri, Sami Bouajila, Roschdy Zem et Bernard Blancan pour Indigènes de Rachid Bouchareb […]
PALMARES OFFICIEL
Palme d’or
Le vent se lève de Ken Loach
Grand prix
Flandres de Bruno Dumont
Prix d’interprétation
féminine
Penélope Cruz, Carmen Maura,
Lola Due as, Chus Lampreave,
Yohana Cobo et Blanca Portillo
pour Volver de Pedro Almod’var
Prix d’interprétation masculine
Jamel Debbouze, Samy Naceri,
Sami Bouajila, Roschdy Zem et
Bernard Blancan pour Indigènes
de Rachid Bouchareb
Prix de la mise en scène
Babel d’ Alejandro Gonz lez I rritu
Prix du scénario
Pedro Almod’var pour Volver
Prix du jury
Red Road d’Andrea Arnold
Caméra d’or
12:08 à l’est de Bucarest
de Corneliu Porumboiu
3 films fous
Face à la folie du monde, une fois encore partout présente (les conflits sanglants, présents ou passés, étaient au centre des films de Dumont, Loach ou Bouchareb), le Festival de Cannes présentait, cette année, une réponse inédite : la folie à deux, en vase clos, comme un répondant symétrique, déformé et volontaire. Puisqu’en effet, il est impossible d’échapper à la guerre, au désastre écologique et autres joliesses du temps présent, autant les reproduire volontairement, chez soi, dans un monstrueux échange amoureux. Le modèle le plus brutal et le plus renversant de cette tendance a été fourni par le terrifiant Bug de William Friedkin retraçant la chute progressive dans le délire d’une femme qui, par amour, accepte peu à peu de se soumettre aux rituels autodestructeurs de son compagnon paranoïaque. Dans un des plus beaux montages du Festival, se succèdent deux plans Ð l’un extérieur, paisible, montrant juste une main frappant à la porte de la chambre d’un motel, l’autre dévoilant l’intérieur secoué par les tressautements d’une attaque imaginaire d’hélicoptères et les deux amants agonisant au sol de terreur. Mais on retrouvait également ce motif, sous une forme plus apaisée et littéraire, dans le beau premier film paraguayen de la réalisatrice Paz Encina. En effet, dans Hamaca Paraguaya, un vieux couple discute, autour d’un hamac, au milieu de la jungle, d’une guerre lointaine où leur fils est parti sans donner de nouvelles depuis trop longtemps. A mesure que le soir tombe, il devient de plus en plus certain que la guerre est finie et que leur fils est bel et bien mort. Les deux époux continuent cependant leur conversation mensongère, incapables de crever la bulle d’illusions qui les étouffe et les protège à la fois. Cette même idée revenait, enfin, dans une stricte épure arty et musicale, dans le road-movie des Daft Punk, Electroma, où deux robots mélancoliques, confrontés au rejet de leurs semblables et incapables de satisfaire leur désir de devenir des hommes, se donnent tranquillement la mort au milieu du désert. « Humains après tout », donc, dans leur désespoir même.
3 films ubiques (et plus)
Si l’on essayait cependant de s’extirper de la chambre des amants pour retrouver le monde, il était impossible de faire deux pas dehors sans tomber aussitôt sous le regard de caméras de vidéosurveillance disséminées dans toute la Sélection officielle. Version politique-fiction, à la Matrix, dans Southland Tales de Richard Kelly ; réaliste froide chez Kaurism ki dans Les Lumières du faubourg ; sentimentale dans Red Road d’Andrea Arnold. Frappe avant tout ici la neutralité supposée de la technique. A chaque fois, en effet, c’est moins la régie en tant que telle qui compte, que la façon dont l’utilisent ces divers gardiens : dominatrix sadique chez Kelly, petits fonctionnaires bornés chez Kaurism ki, ou gentille flic cherchant à aider son prochain chez Arnold. Selon la psychologie de chacun se met ainsi en place un rapport différent et spécifique entre ces images et la réalité qu’elles sont censé transmettre. Mais, au-delà du cas limité de ces exemples, c’est le fantasme d’un cinéma ubique, zappant sans peine d’un coin à l’autre de la planète, que l’on a retrouvé, cette année encore, et en particulier dans le bien-nommé Babel du navrant I rritu. A ces satellites espions, traversant allègrement les frontières politiques et fictionnelles, impossible d’échapper.
2 films quantiques
Depuis quelques années déjà, on a pu noter que le cinéma à grand spectacle ne se contentait plus d’un seul fil narratif mais les multipliait à foison. Dans les années 60, face à l’émergence de la télévision, les studios avaient répondu en jouant sur la largeur de l’écran dans de grandes fresques historiques. Aujourd’hui, face au nouveau danger que représentent les séries télé, ils répliquent plutôt par l’épaisseur de l’histoire dans des films choraux multipliant les intrigues et hybridant les genres. S’enchaînent ici et s’enchâssent drame, comédie, polar, mélo, etc. Jusqu’à présent, cependant, chacune des couches de ces gros mille-feuilles était encore clairement discernable. Deux films, à Cannes, sont venus renverser cette logique purement accumulative en la poussant à son terme ultime. En effet, dans Southland Tales de Richard Kelly et dans The Host de Bong Joon-ho, les changements de ton sont si rapides et si constants qu’il n’est plus possible de savoir si l’on doit rire, pleurer, frémir ou contempler en silence. Ce qui s’invente ici, c’est un cinéma quantique où le spectateur lambda est contraint d’intégrer, bon gré mal gré, un paramètre d’indécidabilité dans son rapport aux images. Ce flottement du sens était sans doute la meilleure nouvelle reçue de l’international.
3 films français
Car, pour l’essentiel, en 2006, et de façon assez exceptionnelle, c’est bien le cinéma français qui a tiré le Festival de sa torpeur grâce à un trio magique et transgénérationnel. Avec Jean-Claude Brisseau, Bruno Dumont et Christophe Honoré, ce n’est pas seulement trois âges du cinéma français qui se sont croisés mais bien trois visions singulières et complémentaires. Entre le petit théâtre artificiel des Anges exterminateurs, la grande picturalité terrienne de Flandres et les joyeuses improvisations de rue de Dans Paris, on ne saurait vraiment choisir tant chacun de ces films convoque et réinvente à sa façon le meilleur d’un héritage hexagonal, pioché ici et là, chez Straub, Godard ou Cocteau. Qu’ils appartiennent tous à une économie fragile et marginale, ne fait que les rendre plus précieux. La terre a beau trembler sous toutes ses coutures, la France, du moins, continue de tourner.