L’émouvant portrait d’une grand-mère qui s’initie à la poésie tandis qu’elle perd la mémoire. Une grande performance d’actrice.
Un jeune homme suicidaire, un homme incarcéré à la place de son frère, une relation sentimentale avec une handicapée, une femme qui perd son jeune fils et fait une crise mystique, tels sont les personnages et situations qui émaillent la filmo de Lee Changdong. C’est dire si le cinéaste coréen a le goût des histoires hypermélodramatiques, des récits tarabiscotés, des situations limite dont il faut déminer le potentiel scabreux.
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Poetry ne déroge pas à cette règle et déploie trois pelotes dramaturgiques entremêlées : une vieille dame touchée par l’alzheimer mais qui prend des cours de poésie pour entretenir sa mémoire défaillante et mieux saisir la beauté du monde ; le petit-fils qu’elle élève, un ado qui a violé une lycéenne et poussé icelle à se jeter d’un pont ; la relation entre la grand-mère et le vieil homme riche mais handicapé dont elle assure la toilette toutes les semaines.
A travers ces trois récits, Lee Changdong entend embrasser quelques thèmes fondamentaux de l’existence : la vieillesse, la transmission, le sexe, l’amour, la vie, la mort, la présence au monde…
Si le cinéaste fait mentir un vieux précepte chabrolien qui veut que le bon cinéma préfère les “petits sujets” aux grands, il faut reconnaître qu’il a le bon goût de ne pas les trompetter, préférant les faire affleurer dans la trame du quotidien, à travers des gens ordinaires vivant dans une petite ville de province.
De facture assez classique, la mise en scène de Lee Changdong privilégie les plans larges, le montage ample, un rythme patient qui permet au spectateur d’avoir le temps de faire connaissance avec les personnages, de s’incruster à feu doux dans l’histoire.
Le regard à la fois précis, doux et bienveillant que le cinéaste promène sur le monde et sur ses personnages permet de faire passer des scènes peu évidentes en toute beauté.
Par exemple, quand le vieil homme paralysé demande à la vieille dame qui le lave de le faire jouir une dernière fois avant de mourir, cela pourrait être dérangeant (et ça l’est un peu), mais c’est surtout poignant, et même, à notre grande surprise, légèrement érotique.
Le film est à son meilleur quand il est allusif, quand sa poésie est générée par la pure mise en scène : un travelling sur un cours d’eau, une rime chromatique entre des fleurs et les tenues vestimentaires du personnage, un gros plan de visage traversé par une émotion.
En revanche, les séquences sur les ateliers de poésie sont très littérales. Le professeur qui énonce sa théorie de la poésie et de la beauté est à l’évidence un double du cinéaste, qui livre ainsi trop directement sa conception du cinéma.
L’aspect propret et appliqué des étudiants amateurs de poésie renforce le sentiment induit par ces scènes-là que le film traite son sujet de façon trop scolaire et volontariste. Comme si Poetry portait en lui un appareil théorique conscient, certes pas inintéressant en soi, mais qui est par essence le contraire même du surgissement poétique, mystère qui ne se décrète pas.
Ce surgissement poétique, échappant en partie à la maîtrise du cinéaste, c’est l’actrice Yoon Jeong-hee. Elle était une star des années 60-70, la Deneuve ou la Huppert du cinéma coréen. Poetry suffit à démontrer qu’elle est une immense actrice, une machine poétique à elle seule, capable de surprendre à chaque plan.
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