|Troisième volet de cet étrange blockbuster qui substitue à l’action les atermoiements d’une pucelle qui veut qu’on la morde.
Quand j’étais jeune fille, une définition circulait dans les couloirs du collège, attrapée au vol par les recalés du flirt : “L’amour, c’est un baiser dans le cou qui dure toute la vie.” Pourquoi dans le cou, plutôt qu’à la naissance des seins, ou simplement sur la bouche ?
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Parce que le cou est cet endroit où la vie s’anime enfin quand un garçon l’embrasse et où la vie peut s’interrompre tout aussi brutalement : qui sait si un coup de dent ne va pas l’entamer ?
Cette définition pour blousons Creeks circa 1986, Twilight l’a comprise avec une profondeur inattendue. Le premier épisode mettait en place la surprise de l’amour, le second ses contradictions (Bella prise entre le vampire et le loup-garou), le troisième s’attaque à un sujet autrement plus difficile : l’établissement de l’amour et l’approfondissement des contradictions. Autrement dit : comment aimer encore plus le vampire (Robert Pattinson) et le loup-garou (Taylor Lautner) ?
Derrière cette inflation amoureuse se cache une question non-sentimentale : comment accéder à l’éternité ? C’est sans doute la vraie question de la saga Twilight, accusée d’utiliser une histoire emberlificotée comme cache-misère d’une apologie de la chasteté.
Pourtant, aucune sévérité, pas même la grande sévérité puritaine à la Hawthorne, ne raidit cette fresque : ne pas consommer la chair ne permet pas tant de rester pur que de repousser cet instant où l’amour devient périssable. On s’en fout de la virginité, on s’inquiète juste que le corps devienne mortel.
Comme toujours, c’est le “toute la vie” de la définition lycéenne qui pose problème, et qui fait de ce volet le plus languissant des trois. Le film explore deux solutions à son problème d’éternité : la fixation épanouie, le lâcher prise. L’ombre du Bright Star de Jane Campion d’un côté, lorsque le film s’ouvre sur un plan-médaillon où un champ de fleurs violettes accueille nos deux héros ivres d’eux-mêmes, plan-médaillon qui était déjà l’emblème du film de Jane Campion – figer le temps. La tentation d’un certain débordement de l’autre, quand le monde vampirique devient un vaste théâtre orgiaque aux combinaisons sexuelles échevelées, comme dans la série True Blood – malmener le temps 1.
Une scène du film montre l’affrontement de ces deux tentations. Bella et Edward s’opposent sur le “passage à l’acte”, elle ironise en proclamant : “Je suis moderne” (option True Blood), lui répond : “Je suis un garçon d’un autre siècle” (option Bright Star). La scène patine, car les manières moqueuses adoptées par Bella ne font que céder à l’impatience d’un certain public. Mais pas plus que ne sont ajustées les tendres réponses d’Edward, sans doute parce le romantisme floral de Jane Campion n’est pas celui de Twilight : seule une certaine sauvagerie sert l’amour de Bella, là où l’audace paradoxale de Bright Star était au contraire la bénédiction du monde.
La plus belle scène du film met face à face le vampire et le loup-garou, capturés par la tempête, réfugiés sous une tente, obligés de se parler. La suavité mortifère de l’un et la tonicité vitaliste de l’autre acceptent de s’unir pour protéger Bella.
Et là, dans cette trêve, on comprend la force de Twilight : un art de la suspension – des rivalités et des baisers et du temps. Il sera bien temps de vivre quand on sera adultes.
C’est ce qu’a compris l’héroïne, qui s’endort miraculeusement quand les deux hommes de sa vie se parlent enfin. Bella dort, un peu comme nous, les spectateurs de ce blockbuster hors normes : atermoiement illimité et frappe érotique aussi intense qu’incongrue, noblesse physique du couple principal et grimage bon marché du reste.
Mais ce qui étonne, c’est l’espèce d’objectivité transie qui isole Bella et Edward, c’est même la capacité du film à s’abstraire de son succès phénoménal en propulsant son couple hors d’atteinte et en remplaçant la connivence avec le public par une sorte de pacte d’oubli de soi. Les amoureux sont seuls au monde ; faites semblant de dormir, vous pourrez les espionner.
1.Digression : on imagine bien une scène de sitcom familiale, avec la fille aînée vautrée dans sa chambre, regardant Twilight, et soupirant doucement : “Ces vampires sont trop forts pour la non-coucherie”, tandis que quelques mètres plus loin dans le salon, la mère, tout aussi vautrée, soupire exactement de la même manière, mais devant True Blood cette fois : “Ces vampires sont trop forts pour la coucherie.”
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