Douze courts métrages porno et féministes tentent de réinventer la façon de filmer les corps et la sexualité.
Elle a fait le portrait de Jello Biafra (chanteur des Dead Kennedys), d’un jeune skinhead gay et séropositif, d’une activiste straight edge, d’enfants parisiens sans papiers ou encore de jeunes queers de San Francisco : depuis quinze ans, la réalisatrice suédoise Mia Engberg enregistre et documente la marge et les cultures alternatives.
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Elle est aujourd’hui à l’origine de Dirty Diaries, un ensemble de douze courts métrages porno féministes réalisés par douze femmes âgées de 25 à 35 ans, qui sort dans les salles cette semaine.
“Je viens de la scène punk underground, c’est mon origine, explique cette jeune femme rousse et longiligne de 40 ans. Tout ce que je fais vient de là. Je crois que d’une certaine façon mes films parlent toujours de moi. Dirty Diaries s’inscrit dans cette lignée. Pour moi, c’est un film punk-rock, traversé par une mentalité DIY.”
Un do it yourself d’un genre un peu nouveau, lui fait-on remarquer : l’Etat suédois finance une partie du projet. Mia Engberg éclate de rire. “C’est vrai. Et je pense que c’est une première. A ma connaissance, aucun Etat n’avait investi d’argent dans un porno féministe alternatif.”
En réalité, les fonds proviennent de l’Institut du film suédois (l’équivalent, grosso modo, de notre CNC). “Techniquement, ce n’est donc pas uniquement de l’argent gouvernemental, l’industrie du cinéma participe, poursuit-elle. On est dirigé par la droite en Suède, elle n’aurait jamais investi dans un projet de ce genre.”
Qu’importe, l’amalgame a été fait, et le film a provoqué une grosse polémique à sa sortie à Stockholm. “Les gens étaient très divisés. Beaucoup de féministes et lesbiennes étaient ravis qu’un tel projet existe et vantaient la dimension politique du film. D’autres, majoritairement des hommes, jeunes, hétéros, m’ont écrit en disant “Vous, saloperies de lesbiennes, vous ne devriez pas être autorisées à dépenser mon argent pour faire des pornos de ce genre”.
Loin des codes du porno hétéro à papa, l’ensemble des douze courts métrages se regarde comme un work in progress, une recherche à tâtons. Comment filmer les corps, le sexe, le désir autrement ? D’autres codes cinématographiques sont-ils possibles ? D’où viennent les images qui nous excitent ? Peut-on changer la nature de ces images ? Et le faire aura quelle conséquence sur nos désirs, notre façon de fantasmer, de baiser ?
Si certain courts métrages laissent de marbre, se caricaturant dans une tentative arty et un peu vaine de filmer le sexe (Fruitcake, qui tente une réflexion sur le gros plan et tombe un peu à plat), d’autres, tel Skin d’Elin Magnusson (une étudiante en arts dont c’est la première réalisation), parviennent à être franchement excitants et stimulants intellectuellement.
Sur une musique de Boston Pops, on peut voir deux corps enfermés dans une combinaison de tissu couleur chair se frotter l’un contre l’autre. Peu à peu, à l’aide de ciseaux, les deux protagonistes recréent des ouvertures, et rédécouvrent leurs corps par le biais de ces nouvelles zones de contact devenues érogènes.
On retiendra également le martial et SM Authority, dans lequel deux lesbiennes en uniforme jouent au master et servant sur un vieux canapé défoncé, le chaud bouillant Phone Fuck (deux jeunes femmes qui viennent de se quitter commencent à baiser par téléphone), le très dérangeant Body Contact, et également Come Together de Engberg, qui filme au téléphone portable, crûment, des visages de femmes qui jouissent.
“Tous les films ne sont peut-être pas excitants dans Dirty Diaries, conclut Engberg, mais peut être qu’au prochain visionnage ils le deviendront. Il nous fait aussi changer la définition que nous avons du porno”, explique-t-elle, avant d’ajouter : “Parfois je me demande vraiment si on a besoin du porno. Je n’ai toujours pas la réponse. Peut être qu’on serait satisfait juste en baisant.”
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