L’auteur des Triplettes de Belleville exhume un scénario de Tati et laisse libre cours à sa nostalgie un peu chevrotante d’un monde enfoui.
Euphémisme : nous ne faisons pas partie du fan-club du dessin animé culte Les Triplettes de Belleville. Dessin disgracieux, réalisme poétique ayant dépassé depuis longtemps la date de fraîcheur, Les Triplettes… avait pourtant séduit un large public, y compris international, les étrangers y reconnaissant sans doute la carte postale surannée par laquelle ils se représentent encore la France.
A nos yeux, un film déprimant, tant par son récit que par son style. Apprenant que Sylvain Chomet allait adapter un scénario inédit de Jacques Tati, on était partagé entre la joie de voir l’œuvre du génial Tati se prolonger et la crainte d’un nouveau film passéiste.
L’Illusioniste chronique la fin de carrière déclinante d’un artiste de music-hall en passe d’être atteint par l’usure de l’âge et surtout par l’explosion du rock, dont les concerts surchauffés relèguent acrobates, jongleurs et autres illusionistes au rang d’antiquités.
Le personnage va connaître un ultime sursaut d’énergie grâce à une jeune fille qui est à la fois l’une de ses dernières spectatrices et sa fille adoptive putative.Il y avait sans doute une part autobiographique dans ce scénario, que Chomet a renforcée en dessinant son personnage à l’image de monsieur Hulot.
Le film doit aussi un peu aux Feux de la rampe de Chaplin, et exsude cette tristesse si souvent associée à l’univers du cirque et des clowns – car derrière les masques et le faux nez, le clown est triste, on le sait.
L’Illusioniste est nettement supérieur aux Triplettes. Le trait est plus épuré, élégant, fluide, et le fait d’avoir situé le film en Grande-Bretagne donne de l’air aux décors. Peut-être que les codes visuels qui identifient un pays passent mieux quand le pays dessiné est étranger, donc moins familier ?
Toujours est-il que le film de Chomet réussit à véhiculer le mélange unique de poésie, d’humour, de burlesque et de mélancolie qui était propre à l’univers de Tati. Mais il est dommage que Chomet semble n’avoir retenu que la facette nostalgique de l’auteur des Vacances de M. Hulot.
Car si Tati filmait avec empathie la France des villages et de la convivialité, il montrait aussi les évolutions de son époque avec un mélange d’inquiétude amusée et de fascination.Ce qui stimulait Tati, c’était le potentiel burlesque et poétique du frottement entre les mondes, les époques, les classes sociales, la coexistence fluide ou conflictuelle entre les strates du passé et la modernité – il suffit de revoir Mon oncle ou Playtime pour s’en convaincre.
Or Chomet ne montre décidément pas le présent (hormis dans la coda), et L’Illusioniste reste doublement confit dans le passé et une sorte de nostalgie du “tout a foutu le camp” : il raconte la fin d’un monde, celui du music-hall, mais le “nouveau” monde du rock qui lui succède est lui aussi déjà très ancien.
L’Illusioniste prouve que Sylvain Chomet a du talent. On aimerait qu’il ferme un temps son rétroviseur et mette enfin ce talent au service du contemporain.