Malgré ses récompenses, ce policier risque de passer inaperçu pour la plus mauvaise raison qui soit : parce qu’il ne paie pas de mine.
En toute apparence, la nouvelle réalisation de Porumboiu (couronné à Cannes il y a trois ans par la Caméra d’or pour son 12 h 08 à l’est de Bucarest, il a obtenu avec celui-ci le prix Un certain regard en 2009 et le Grand prix du dernier festival Entrevues de Belfort), est un film de genre policier et d’espèce molle.
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Dans une petite ville triste de Roumanie, un jeune inspecteur de police, Cristi, fait son boulot de base : il file patiemment un suspect, un collégien qui a été dénoncé comme fumeur de shit. Mais Cristi comprend d’emblée que son enquête est absurde : mettre ce gosse en prison n’a aucun sens, d’ailleurs l’Europe mettra fin à ces lois ridicules d’ici quelque temps. Pourquoi ruiner trois ans de la vie d’un ado qui n’a rien fait de grave ?
Mais ses supérieurs s’entêtent. Le film emprunte alors un cours sinueux, pris constamment entre une réalité dérisoire (une enquête poussive et sans enjeu qui vire au burlesque pince-sans-rire) et les doutes moraux d’un modeste fonctionnaire qui pense.
Tout le talent de Corneliu Porumboiu réside dans son adresse à surfer sur cet équilibre fragile et jubilatoire entre le réalisme et la métaphore politico-métaphysique à la Kafka.
Certains très longs plans fixes, à force de filer ensemble la métaphore et le prosaïque, prennent une force quasi mythologique – le tout culminant dans les très longs délires sémantiques du commissaire en chef de Cristi (interprété par le médecin avorteur de 4 mois, 3 semaine et 2 jours de Cristian Mungiu, Palme d’or 2008).
Ajoutons que ce talent roumain ne vient pas de nulle part. Quitte à passer pour des vieux cons, rendons ici l’hommage qu’ils méritent aux professeurs des “jeunes” cinéastes roumains qui ont su leur inculquer le goût de la forme. Car Porumboiu fait du cinéma en héritier des plus grands créateurs du cinéma du XXe siècle (Bresson, Hitchcock, Antonioni), non dans le but d’en jeter plein la vue, de faire le malin ou le pédant, mais dans la visée très pragmatique d’achever le film le plus parfait qui soit, au maximum des possibilités que propose cet art quand il en est un.
L’efficacité et l’expressivité du cinéma roumain récent n’ont donc rien de mystérieux, elles proviennent d’un fond culturel et intellectuel ultrasolide, qui ne prend pas la théorie sur le cinéma pour un affront à une quelconque puissance d’inspiration artistique immanente, mais pour un outil nécessaire à tout artiste digne de ce nom.
Policier, adjectif est donc un film assez génial dans son genre. Mais nous ne sommes qu’en Roumanie… Un tel film, réalisé dans les années 70 avec une star internationale, par un grand auteur mondialement célèbre, comme il en existait alors, aurait eu droit à tous les éloges et figurerait au panthéon du cinéma (art du clinquant, quand même). Ne le ratez pas.
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