Ben Stiller en bête à névroses qui se risque timidement à l’amour. Une comédie flippée très réussie, par le scénariste de Wes Anderson.
L’intro de Greenberg ravira les trois fans français du Steve Miller Band, et peut-être les autres spectateurs aussi : un travelling latéral en voiture le long d’un boulevard de Los Angeles agrémenté du classique Jet Airliner à fond sur l’autoradio.
Jeune femme seule, bagnole, classic-rock, c’est tellement L. A. ! Le ton est donné pour cette comédie dépressive, ou ce drame qui rit de lui-même, au choix. Noah Baumbach commence par se débarrasser des ingrédients d’une comédie familiale classique : les Greenberg partent en vacances, laissant les clés de leur belle maison (et du film) au chien, à la baby-sitter Florence (Greta Gerwig), et à l’oncle new-yorkais bizarre et dépressif, Roger (Ben Stiller), qui doit s’occuper vaguement de la maintenance.
Ainsi donc, si le décor de villa avec jardin et piscine dans les collines est typique de la bourgeoisie californienne cossue, ses occupants ne sont que des outsiders de passage : une domestique mignonne mais pas glamour, un quadra urbain solitaire et psychologiquement convalescent.
Florence aimerait bien trouver sinon le prince charmant, au moins une relation stable allant au-delà de la première (et généralement dernière) nuit. Roger n’a pas encore fait le deuil d’une carrière de rockeur avortée au seuil d’un succès possible ; il revoit d’anciens potes et a fait vœu de ne rien faire pendant un moment. Se croisant régulièrement dans la grande maison, Florence et Roger vont bien sûr faire connaissance, bien que Roger ne soit pas spécialement charmant, et encore moins prince…
Cette trame relativement classique doit beaucoup à ses acteurs principaux. Tout le monde connaît Ben Stiller, mais il parvient toujours à surprendre. Distillant dans plusieurs séquences sa drôlerie zinzin, il l’enrichit ici d’une profondeur dramatique inédite virant même par moments vers des zones inquiétantes.
On ne connaissait pas Greta Gerwig et c’est une fameuse découverte : tour à tour charmante, godiche, émouvante, drôle, elle électrise le film à chacune de ses scènes, tout en composant un personnage complexe et sensible. Le britishissime Rhys Ifans est très bon aussi.
L’écriture de Baumbach est en symbiose avec les hauts et les bas de ses personnages, les pleins et les déliés de ses acteurs. Le réalisateur peut faire alterner une pure veine comico-triviale ado (la première coucherie entre Florence et Roger, qui mixe vannes et cunnilingus) avec une scène d’introspection borderline (Roger est un dépressif peu sympathique qui peut mordre la main de celui qui le console).
Greenberg n’est pas une comédie du genre “efficace”, avec rebondissements permanents, punchlines mitraillées et rythme d’enfer. Entre les instants d’effervescence comique, le tempo parfois ralentit, s’effiloche, comme gagné par l’engourdissement du Sud californien, ou vient flirter avec une tonalité plus perturbante, comme si une potacherie des frères Farrelly était constamment contaminée par un film de Cassavetes (Roger est “un homme sous influence”, et l’ambiance de la maison rappelle parfois celle de Love Streams).
Greenberg est aussi prodigue en détails angelenos qu’un Woody Allen peut l’être en touches typiquement Manhattan. Les barbecue parties au bord de la piscine, la place centrale de la voiture, la promiscuité ou proximité illusoire entre maîtres et domestiques, la solitude des trentenaires dans un tissu urbain éclaté qui ne favorise pas les rencontres, le luxe obligé des apparences, tout cela est consanguin à la mégapole de la Californie du Sud.
Aussi, quand le film montre un jour de pluie battante, ou Roger en piéton transpirant pour ramener ses courses et grimper les collines, la critique en creux du L. A. way of life n’en est que plus saillante. Mais le plus important vecteur critique du film est Roger lui-même, pour son état dépressif autant que pour son oisiveté revendiquée.
Ne rien faire, juste glander, réfléchir, se tenir en marge du système productif est peut-être l’attitude la plus séditieuse au pays des workaholics et des winners.
Dans la famille des adulescents mélancomiques américains (Wes Anderson, Judd Apatow), je demande Noah Baumbach, le moins connu, mais pas le moins bon d’entre eux.