Matt Damon retrouve le réalisateur de La Mort dans la peau pour une fiction virtuose sur l’intervention militaire américaine en Irak.
La plupart des cinéastes anglais apparus depuis cinquante ans (Loach, Leigh…) ont été formés par la télévision, et n’établissent guère de différence esthétique entre les deux médias, comme ils n’en font pas trop non plus entre le reportage, le documentaire et la fiction (Michael Winterbottom aime par exemple mélanger les trois).
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Paul Greengrass est vraiment anglais. Qu’il tourne un film sur un fait historique sanglant de la guerre civile en Irlande du Nord (Bloody Sunday, qui le lança), l’histoire “véridique” de l’avion écrasé du 11 Septembre (Vol 93) ou une version contemporaine et stroboscopique des films d’espionnage (on lui doit les deux derniers opus de la jolie trilogie Jason Bourne), il réalise de la même façon ce qui a été réel ou ce qui est imaginaire : avec la caméra à l’épaule, qui colle au personnage et le suit partout.Mais qui surtout renvoie le spectateur aux images que les reporters cameramen ont rapportées des batailles depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Dans Green Zone, il nous transporte en 2003 en Irak, aux basques de l’adjudant-chef Roy Miller (Matt Damon, nuque rasée mais toujours juvénile), missionné avec son peloton pour retrouver les armes de destruction massive irakiennes qui ont occasionné, on s’en souvient, le déclenchement de la guerre.
Or il s’avère qu’il ne trouve jamais rien…
Ici, pour le spectateur français, nulle surprise, puisque sa suprême intelligence lui a permis, dès avant la guerre d’Irak, de savoir que tout ceci était du flan, qu’il n’y avait pas plus de bombes cachées en Irak que de beurre en broche. Et ça tombe bien, parce que ce que dénonce officiellement le film (les mensonges des politiques, auxquels la CIA n’aurait pas pris part, nous dit-on) est moins intéressant et fiable que ses scènes d’action pure.
C’est là que Greengrass, une fois encore, nous en bouche un coin, dans un montage heurté, ultrarapide et rythmé, qui nous laisse deviner plus que voir les gestes et les déplacements des soldats.
Ses scènes de guérilla urbaine et de poursuites dans le dédale des ruelles populaires de Bagdad (en réalité tournées à Rabat) sont virtuoses, brillantes, spectaculaires, et atteignent au sublime quand la nuit et les feux s’en mêlent, que le jeu vidéo laisse place à une belle abstraction furieuse.
Greengrass a beau être un réaliste (terme ambigu), c’est quand sa caméra glisse sur le réel et l’embrouille, mélange ses couleurs, qu’elle donne de l’ampleur à son cinéma, qu’elle le porte au-delà du simple enregistrement d’un spectacle monté de toutes pièces.
Car l’enjeu du film se trouve là : faire la guerre, aujourd’hui comme jadis, c’est être l’acteur d’un spectacle écrit d’avance, où les acteurs sont sommés de révéler ce que d’autres ont écrit, bien loin de là, dans un bureau du Pentagone. Contre la vérité des faits, contre le réel.
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