Les histoires d’amour finissent mal, en général : ainsi de Thomas Burgel, qui dans un post du Blog rock des Inrocks explique sa saignante rupture avec Morrissey.
Le texte suivant est extrait du blog Rock des Inrocks : retrouvez les posts précédents à cette adresse.
Mon vieux Momo… Que nous est-il arrivé ? Quand ça s’est passé ? L’éloignement, les premières fissures, c’est difficile à dire. L’éloignement, on ne sait jamais quand ça commence vraiment –mais on sait comment ça finit. En rupture. En l’occurrence, elle est saignante, la rupture. C’est même carrément un backlash, comme on dit chez toi pour parler des amours musicaux déçus, trompés, qui finissent par se transformer en haines tenaces. Bon, ok, de la haine, sans doute pas. Beaucoup de dégoût, en revanche, certainement. C’est ça, oui : du dégoût.
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[attachment id=298]On peut dire que je t’ai aimé, Morrissey. Jusqu’à la déraison. Comme tous tes fans : mot à mot, morceau après morceau, album après album. J’ai même défendu l’indéfendable –Southpaw Grammar, indigne après le toujours magnifique Vauxhall & I, Maladjusted, cette crotte ratée, adorée quand même les Inrocks, une bible, te lâchaient. Je les ai défendus, sans même me rendre compte qu’il n’y avait déjà plus grand-chose à défendre. De toi en solo, de toi avec les Smiths, j’ai tout avalé avec boulimie, appris par coeur, décortiqué jusqu’au dernier bout de l’ultime syllabe. Tes disques, je les ai adulés, comme des icônes.
Et, plus grave : je les ai compris comme des guides, spirituels, moraux. Et ça, c’est triste, Morrissey. Parce qu’avec le recul, je crois bien que tu m’as quand même sacrément gâché des bouts de vie. Un en particulier : mon malheur fut sans doute de te découvrir en pleine adolescence. Pataud, puceau, tristoune. Le romantisme de la lose. Si j’avais, plutôt que de m’acoquiner avec tes spleens, découvert Jamiroquai ou les Red Hot, je me serais mis à la basse slappée comme tout le monde, et j’aurais emballé des tonnes de gonzesses. J’en ai pas emballé des masses. Et je t’en veux. Pas mal, même. Ce n’était pourtant pas ta faute, Momo, mais je t’en veux.
Puis tu as disparu. Dans l’ombre. A force, je me lassais, et je passais à autre chose. Je me déniaisais, musicalement, physiquement. Après l’adolescence, et avant de passer définitivement dans le camp Jarvis Cocker, j’avais compris le second degré de tes paroles, leur humour noir, leur drôlerie intrinsèque. J’avais fini par mettre le personnage à nu.
Puis je t’oubliais, un peu comme tout le monde, mon bon Momo. Et tu es revenu, et le retour a été, pour moi, un drame intime. Je ne me souviens pas de la date exacte. C’était à l’Olympia. Bizarrement, j’attendais ça avec une drôle d’appréhension, comme quand on voit un ami d’enfance pour la première fois depuis des lustres, et qu’on sait qu’on aura pas grand-chose à se dire, et que c’est comme ça, et que c’est fini. J’avais raison. Te voir a été un sale choc. La brindille anglaise était devenu un Californien musclé, engoncé dans tes chemises en satin, vieux beau, cabot au possible. Je ne te reconnaissais pas. Tu venais ou tu allais publier l’album de ton grand retour, You Are the Quarry. J’aurais du être excité. Et je m’en foutais. Pire, j’avais l’impression de voir un tour de chant de Sylvie Vartan, le come back de Salvatore Adamo, un truc nostalgique pour fan ridé. C’était comme revoir mes jeunes années dans le rétro, et c’était moche, et c’était dégoûtant.
[attachment id=298]Depuis le retour, depuis You Are the Quarry, je ne sens plus chez toi aucun second degré. J’aurais rêvé que tu poursuives ta propre légende ; des déclarations trash, des bouts d’intimité drôle, le même humour aussi léger que boucher. Ou que tu reprennes la veine de Vauxhall & I, dernier de tes grands albums avant le désespoir. Que tu assumes ton âge, que tu croones un peu plus, que tu t’enveloppes dans le velours et les ambitions pour tranquillement finir ta carrière. Mais tu as chuté dans le grossier. You Are the Quarry n’était pas mauvais mauvais, certes. Mais mis à part deux ou trois chansons pas totalement indignes, il n’avait à peu près aucun intérêt. Pas mieux, voire pire, pour Ringleaders of the Tormentors. Tes boys t’écrivent des morceaux à la tronçonneuse, tu joue de tes vieux malheurs, tu t’autoparodies, tes textes sont bas du front, tes jeux de mots faiblards, tes maux ne m’intéressent plus, tes joies encore moins.
Parce qu’ils sont devenus, mon pauvre vieux Steven Patrick, un bien triste fond de commerce. Les Malheurs de Momo, de 7 à 77 ans. Ca lasse, un peu. Et quand tu trouves une certaine sérénité, un peu de stabilité, que tu stabilise tes humeurs, tes relations, c’est encore pire. Les années passent et tu continues de muscler ta musique, tu poses à poil, c’est n’importe quoi, c’est devenu carrément moche –ce que j’ai entendu de Years of Refusal me terrifie. Tu tournes tes paroles sept fois dans le vide intersidéral avant de les chanter, toujours assez merveilleusement c’est vrai, à des foules de plus en plus massives. On se demande où elles étaient quand tu étais beau, quand tu étais drôle, quand tu avais encore quelque chose à dire.
Je suis peut-être jaloux. Ou snob. Je me sens peut-être, depuis des années, dépossédé. Ou tu n’as pas changé, et moi trop -ou l’inverse, d’ailleurs. Ou je ne comprends peut-être pas : peut-être est-ce une nouvelle facette de ton personnage, une facette désormais populaire, riante, millionnaire que je n’ai pas encore saisie. Quoi qu’il en soit, je ne t’aime plus, Morrissey. Et que les choses soient claires : ça ne me fait pas plaisir. Je trouve ça triste.
Dans tes très jeunes années, tu exhortais les Stones, déjà des vieux cons, de quitter la scène. Pensais-tu alors qu’on pourrait, un jour, faire de même pour toi ?
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