Incursion du film de gangsters à la Scorsese en Israël- Palestine, faisant le choix du cinéma face à la politique. Une vraie réussite.
Vous voulez voir un putain de bon film ? En voilà un. Et sur tous les plans : scénar, acteurs, style, esquive des attentes, “message” sur une région sursaturée en la matière. Pour la faire courte, Ajami, c’est Les Affranchis en Israël-Palestine, du Scorsese vintage en terre doublement promise.
Pour la faire moins courte, l’inscription d’un film israélo-palestinien dans le genre ultracodé du film de gangsters est la première très bonne surprise d’Ajami.
La seconde excellente surprise, c’est qu’Ajami n’est pas seulement un film de gangsters, mais un remarquable film de gangsters. Deux gangs s’y affrontent de part et d’autre des frontières multiples qui fragmentent ce bout de terre vaste comme la Bretagne, de Jaffa à la Cisjordanie, de Tel-Aviv aux bleds désertiques, de la bourgeoisie aux prolétariats arabe et juif.
Sur fond de trafic de drogue, le film abonde en situations vues dans maints films du genre : bastons, règlements de comptes sanglants, figure de traître, personnages duplices, confusions entre famille et bande mafieuse.
Il y a aussi un personnage de flic israélien qui veut venger la mort de son frère, branche de scénario supplémentaire qui donne à Ajami une petite touche de cinéma choral à la Altman.
Mais par le simple fait du déplacement des Etats-Unis en Israël-Palestine, Ajami renouvelle naturellement le gangsta-movie.
En montrant par exemple une scène jamais vue, tragicomique, de tribunal sauvage arabo-mafieux. En filmant des appartements, des paysages extérieurs, tant urbains que ruraux, qui nous changent des lofts de Manhattan, des hangars de L.A. ou des docks de Marseille. En mettant en scène des acteurs et actrices inconnus sous nos latitudes.
Ainsi, si le genre d’Ajami est vieux comme le cinéma, Scandar Copti et Yaron Shani semblent le revivifier de partout, insufflant une énergie neuve à tous les aspects de leur projet.
Bien que situé en Israël-Palestine, Ajami évoque peu la situation, ou plutôt de façon très oblique. En montrant que Juifs et Arabes, Palestiniens et Israéliens trafiquent, magouillent, s’allient, s’arnaquent et se trahissent ensemble, par-delà les habituelles fractures religieuses ou géopolitiques. Ce qui n’empêche pas de montrer le mépris raciste de certains Israéliens ou des contrôles policiers musclés.
Mais Ajami ne tombe jamais dans le manichéisme, la dénonciation facile ou le message démonstratif qui enfonce des portes déjà largement ouvertes. Il fait passer son “message” subtilement, comme en contrebande.
Le film lui-même, comme tant d’autres produits dans la région, est le résultat de ce mélange palestino-israélien : acteurs et techniciens issus des deux côtés, langue qui switche de l’arabe à l’hébreu, et jusqu’au tandem de réalisateurs, l’un israélien, l’autre palestinien.
Comme souvent, le cinéma et la culture sont en avance sur la société et les dirigeants politiques.
Aussi bons dans la représentation d’une famille arabe que d’une famille juive, aussi vifs dans les scènes dialoguées que dans les scènes d’action, aussi expressifs dans le filmage de lieux que de corps et de visages neufs, aussi à l’aise dans les séquences d’amitié que dans les scènes de conflits, Copti et Shani réussissent quasiment tout.
Pour tout amateur de cinéma neuf et alerte, pour tout ceux que lassent les films israéliens ou arabes qui traitent du conflit israélo-palestinien, ou qui rêvent de voir ce sujet abordé par des angles renouvelés, avec plus de cinéma et moins de sociopolitique prévisible, Ajami est vraiment un ami.