Dans un pays africain, une fable magnifique sur l’appartenance et l’attachement à un territoire.
Depuis toujours, nous aimons le cinéma de Claire Denis, pour ceci : le regard que ses films posent sur la nature, et surtout les hommes et les femmes, dénué de tout jugement, de tout manichéisme mais aussi de tout sentimentalisme exacerbé.
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White Material, malgré son intrigue et son sujet violents (dans un pays d’Afrique, une plantation de café possédée par des Blancs et dirigée avec beaucoup de fermeté par une femme est prise dans les remous d’une guerre civile), n’échappe pas à la règle.
Chacun y a sa chance, son moment de solitude et d’introspection, de regard sur lui-même, sur sa situation et son propre comportement.
Au fond, chez Claire Denis, même s’il est évidemment possible d’y distinguer une figure principale, le film appartient à chacun des personnages, il n’est pas le privilège d’un seul d’entre eux. Rien n’appartient à personne, l’indépendance et la solitude sont indissociables.
Dans 35 rhums, le père n’était pas davantage la propriété de sa fille (il avait une vie intime qui ne la regardait pas) qu’elle n’était la sienne (elle va partir et c’est normal) ou celle de celui qu’elle aime (ce voisin toujours baguenaudant de par le monde).
Dans L’Intrus, Michel Subor n’était à personne, mais son cœur ou son hypothétique fils ne lui appartenaient pas non plus. Dans White Material (nom sous lequel les Africains du film désignent tout ce qui est de fabrication blanche, le business occidental), la plantation de café est légalement la propriété de la famille française Vial, des hommes (Subor, Christophe Lambert et Nicolas Duvauchelle en mâles à la Francis Ford Coppola) qui ne branlent rien et sont prêts à la vendre contre une bouchée de pain.
Même si c’est la belle-fille, Maria (Isabelle Huppert, au plus simple de son jeu) qui la dirige, l’exploite et s’y investit le plus. Mais cette terre est aussi à l’Afrique, aux ouvriers agricoles qui y travaillent, au pays où elle se trouve et à ceux qui s’opposent au pouvoir en place.
D’ailleurs, que vaut-elle ? Rien, apprend-on incidemment. Elle appartient aussi au rebelle (“le Boxeur”, incarné par Isaach de Bankolé) qui s’y réfugie.
Elle appartient aux enfants-soldats qui s’y promènent comme en territoire conquis.
Elle est aussi aux soldats de l’armée régulière qui y pénètrent pour y faire régner l’ordre par un massacre. Un cadenas protège symboliquement l’entrée mais elle est ouverte à tous les vents.
Et Maria, à qui est-elle ? A son mari, qui l’a délaissée pour une autochtone ? A son fils, qu’elle a mal élevé, laissé “inabouti” ? A ce riche Africain qui lui lit son avenir ? A cette propriété qui l’obsède comme cette plantation inondée qui possédait la mère dans Un barrage contre le Pacifique (le livre de Duras, le film de Rithy Panh) ?
S’esquisse lentement, au sein d’un cinéma pourtant attentif aux détails concrets (la culture du café, la mise en marche d’un groupe électrogène, l’argent bien sûr qui s’échange, se soutire, se vole), une vision aussi politique, romanesque, mythologique (le massacre des enfants) que métaphysique, qui n’appartient qu’à Claire Denis, et nous gratifie de films si beaux, si inspirés, si nourris, si rapides aussi (il faudrait étudier de près l’art tout en ruptures et en ellipses de Claire Denis) : la terre est à tous, nous ne nous appartenons pas les uns aux autres, nous sommes libres et prisonniers en même temps, d’aller où le vent nous pousse.
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