Un vieux chanteur de country alcoolique entrevoit le bout du tunnel en s’éprenant d’une jeune journaliste. Un écrin en or pour un Jeff Bridges très inspiré.
L’histoire de Crazy Heart a déjà été racontée cent fois. Parfois mieux, la plupart du temps moins bien. Peu importe : sa force, comme celle des country songs qu’il célèbre, est de réussir à nous faire croire qu’il s’agit d’une première fois, encore et toujours.
L’Amérique, ses étendues infinies et ses routes cabossées, ses bouteilles de whisky et ses comptoirs usés, ses vieilles gloires et ses jeunes loups, ses descentes aux enfers et ses secondes chances, ses histoires d’amour impossibles et pourtant effectives…
Scott Cooper, le jeune auteur du film, et par ailleurs acteur, ne cherche jamais à éviter les clichés. Au contraire, il leur fonce droit dessus, les embrasse, s’y love confortablement, s’y plaît – mais jamais ne s’y complaît.
C’est toute la différence avec, par exemple, The Wrestler. Tandis que Darren Aronofsky, revenu de sa pompeuse cure de jouvence, affichait sa nouvelle sobriété visuelle comme un trophée, inventant là une sorte de discrétion ostentatoire, Scott Cooper, lui, manifeste une sérénité impressionnante, animé par le seul désir de sculpter un écrin pour ses acteurs.
A commencer par Jeff Bridges, en route pour les oscars, sans pour autant forcer le trait. Il joue Bad Blake, un chanteur de country has been, solitaire et alcoolique, qui écume les petites salles du sud des Etats-Unis, sans illusions.
Si un soir de concert la nausée le rattrape, il pose son chapeau sur le micro, sort, va vomir, et revient sur scène ; c’est aussi simple que cela. Jusqu’au jour où il tombe amoureux d’une jeune journaliste venue l’interviewer.
Celle-ci est interprétée par Maggie Gyllenhaal, toujours excellente dans les rôles de femmes rétives au bonheur, dans l’attente fébrile du changement…
Au cours des années 2000, les épaves ont eu tendance à remplacer les vieux beaux, les Connery, Redford, Costner ou Gere, qui se sont fait voler la vedette par les Stallone, Rourke, Willis ou Depardieu – Quand j’étais chanteur de Xavier Giannoli étant à la variété ce que Crazy Heart est à la country, c’est-à-dire ce que Michel Delpech est à Johnny Cash.
Jeff Bridges parvient, lui, à réconcilier les deux modèles : rocailleux et aérien à la fois.Il faut voir comment, assis sur le capot de son vieux truck, il répond à son rival et ancien élève (Colin Farrell, tout en retenue), venu lui proposer de le remettre en selle.
Les deux loups se jaugent, se reniflent, et, alors que le conflit d’ego attendu semble sur le point d’advenir, c’est soudain comme si la mise en scène prenait le plus vieux des deux par la main et lui chuchotait, au creux de l’oreille, “it’s gonna be allright”.
Et le faisait ensuite glisser doucement sur les arêtes d’un film lumineux qui, à la dramatisation factice et aux effets de manche, préfère l’insolente tranquillité de ceux qui n’ont rien à prouver.