Sur les conditions de travail des agriculteurs en France, un documentaire magistral.
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Le sujet du premier film de long métrage documentaire de Dominique Marchais n’a de lien qu’apparent avec la somptueuse et récente trilogie de Raymond Depardon sur la paysannerie française (Profils paysans).
Là où le photographe-cinéaste s’attachait à décrire l’aspect humain et quotidien de la fin de l’artisanat agricole dans les régions de moyenne montagne, Dominique Marchais, lui, dresse un état des lieux plus général et exhaustif (variété des exploitations, des régions, des types d’agriculture et des expertises proposées), géographique, sanitaire et politique de l’agriculture française depuis la fin de la guerre.
Pourtant le fil conducteur et narratif, qui donne peu à peu sa forme au film, est apparemment le même que celui de Depardon, puisqu’il s’agit de la parole.
C’est l’interview qui guide la respiration du film et son montage, la parole de ces agriculteurs mais aussi des agronomes, biologistes et politiques que le documentariste a rencontrés dans tous les coins de l’Hexagone, et qui racontent, à travers leur histoire, leurs études, l’histoire d’un pays qui a peu à peu épuisé (au sens propre) sa terre à force de l’exploiter, de la surexploiter depuis la fin de la guerre, dans un effort de croissance alors légitime et général (le film se garde bien de faire des paysans les boucs émissaires de la pollution des sols).Et qui, du jour au lendemain, doit trouver des solutions à ces problèmes cruciaux.
C’est le premier aspect du film, essentiel, traité avec un souci méticuleux (la haie comme héroïne de la planification et de la sauvegarde du paysage et des sols) et scientifique très fort, tout en demeurant toujours accessible et passionnant (on comprend tout, par exemple, aux tenants et aboutissants de la politique agricole européenne commune depuis cinquante ans – ce qui n’est pas, avouons-le, une mince affaire).
Certaines scènes sont d’une grande force en elles-mêmes, comme les interventions de ce couple d’agronomes qui, “éprouvettes à la main”, nous montrent combien la terre est aujourd’hui vidée de toute substance mais qu’il est possible de la régénérer en un temps record pourvu qu’on s’en donne les moyens.
Mais le plus souvent, c’est la richesse et la dynamique du montage, sa logique intrinsèque, manifestement orchestrée par les images et par la parole, qui frappent et forcent l’admiration.
Enfin, il est impossible de ne pas voir dans Le Temps des grâces une métaphore du cinéma français – les problèmes d’un jeune cinéaste à percer dans un paysage cinématographique qui peut paraître infertile, où l’artisanat et la petite exploitation ont toujours prévalu – et de la France en général, vieux pays de culture qui ressemble soudain à une terre stérile et étouffante, où les idéologies de droite ont caché les vrais enjeux et les véritables dangers, et empêché le retour du printemps.
Comment tracer son chemin dans un paysage dévasté et sans vie, où la grande industrie semble tout dominer, tout tuer ?
C’est en cela que ce film, aux beautés classiques, gagné parfois par la nostalgie d’un âge d’or perdu (l’intervention impressionnante du philosophe Pierre Bergounioux), mais qui ne cherche jamais à dramatiser à l’excès la situation, apparaît à la fois comme l’antidote implacable aux grandes fresques catastrophistes des Hulot-Perrin-Arthus-Bertrand, et comme la douce réponse d’un jeune cinéaste à l’un de ses plus brillants anciens, Raymond Depardon : un avenir radieux (plus écologique, plus attentif à la qualité et à la sauvegarde des paysages) est encore possible.
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