Le père du pop art voulait être un produit. Il reste en tout cas une icône et un système où puisent sans fin les artistes, tous domaines confondus. A l’occasion de deux expositions, musiciens, cinéastes et journalistes disent ici ce que représente Warhol pour eux aujourd’hui.
[attachment id=298] DAVID BOWIE, icône
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“J’ai été invité à la Factory. Nous sommes entrés dans l’ascenceur, avons monté les étages et quand les portes se sont ouvertes, nous nous sommes retrouvés face à un mur de briques. Nous avons cogné contre le mur, mais ils refusaient de croire que c’était bien nous. Nous sommes donc redescendus, puis remontés, jusqu’à ce qu’ils finissent par nous ouvrir le mur.A l’intérieur, tout le monde se regardait avec des yeux écarquillés. C’était juste après qu’on lui avait tiré dessus.
J’ai donc rencontré un homme qui était un mort vivant. Le teint jaune, avec une perruque qui n’allait pas, et des petites lunettes. J’ai tendu ma main, mais il a retiré la sienne et j’ai pensé : “A l’évidence, ce type n’aime pas la chair, c’est un reptile.” Il a sorti un appareil photo et a pris une photo de moi. J’ai essayé de parler de la pluie et du beau temps, mais ça ne fonctionnait pas du tout. C’est là qu’il a vu mes chaussures jaune et doré, et il m’a dit : “J’adore ces pompes, dis-moi où tu les as dénichées ?” Il s’est lancé dans un long monologue sur le design des chaussures, ça a complètement brisé la glace. Mes chaussures jaunes ont brisé la glace avec Warhol !
J’adorais son travail, il était déjà très important, c’est même devenu une obligation de l’aimer aujourd’hui. Mais Warhol, lui, voulait être un cliché, il voulait être vendu dans les supérettes et qu’on parle de lui avec une certaine désinvolture. J’ai entendu dire qu’il voulait faire de vrais films maintenant, ce qui est triste, car les films qu’il faisait représentaient ce qui devrait arriver. J’ai quitté la Factory en sachant aussi peu de choses sur lui qu’en arrivant.”
(Bowie a raconté cette rencontre dans le magazine Rolling Stone, en 1974. Des images existent sur YouTube. )
[attachment id=298] GUS VAN SANT, cinéaste
“C’est incroyable comme Andy Warhol est devenu pertinent au fil des années, on ne s’en est jamais désintéressé. Il est peut-être plus important et plus largement connu aujourd’hui qu’au moment où il est mort.”
[attachment id=298] DAFT PUNK, musiciens
“La première fois qu’on a vu une oeuvre d’Andy Warhol, c’était probablement ses portraits de Marilyn Monroe. Ils sont partout depuis longtemps, ils appartiennent déjà à l’inconscient collectif. Ce qui a eu le plus d’impact sur nous, c’est sans doute son art du minimalisme. C’est quelque chose qui nous est cher, le plus difficile dans la création étant de ne garder que l’essentiel. A nos yeux,Warhol incarne la liberté d’entreprendre sans se soucier du qu’en-dira-t-on, avec un minimalisme radical. C’est une approche ultraconceptuelle et subversive. Il symbolise aussi la capacité pour un artiste de décider de s’exprimer avec une multitude de formes, en transformant même les aspects jusqu’alors les moins “nobles” de la société de consommation (le marketing, la publicité, la reproduction mécanique et les marques – la sienne et les autres) en oeuvres d’art. Son influence est omniprésente, aujourd’hui plus que jamais. Surtout, elle n’a jamais disparu.Warhol est une de nos influences principales pour sa démarche. On ne s’est jamais cantonné à ne faire que de la musique : le cinéma, les vidéos, le graphisme et toute autre forme d’expression nous ont toujours attirés. Nous n’avons pas vraiment chez lui d’oeuvre ou de période “favorites” : au-delà de sa démarche, c’est la globalité de son oeuvre qui nous touche le plus. Notre première création avait d’ailleurs été un fanzine dont la couverture était l’affiche d’Orange mécanique détournée, avec la banane du Velvet remplaçant le couteau de Malcolm McDowell. On avait 12 ans, la musique est venue beaucoup plus tard.”
[attachment id=298] JULIEN DORE, pop-star
“Pain show sur vin chaud
Par AndrovVarola
AndrovVarola, Andy Warhol et Jean Clair sont sur un bateau.
Jean Clair, dans un éclair de génie qui cette année-là vint à
ce moment-là, s’écrie : “Vous êtes le plus bel affichiste de tous l
es temps mon cher Andy”
AndrovVarola de dire : “Oui mais la colle ne tiendra pas avec le temps”
Andy n’écoutait rien de cette conversation, trop occupé à mater
des tof de Joe D’Alessandro à poil sur son Blackberry Bold.
Jean Clair tombe à l’eau
Tout le monde s’en branle.
Fin.”
[attachment id=298] THIERRY ARDISSON, présentateur
“A la fin des années 70, après la période baba cool passée à écouter Genesis, le punk m’a d’abord bien réveillé, je suis entré dans une époque plus glamour, très “rich & famous”, dans laquelle Andy Warhol était un dieu vivant.
En 77, j’ai travaillé pour Warhol dans son magazine Interview. Je m’occupais de la page Paris, et j’ai fait quelques interviews, du comte de Paris ou de Yannick Noah. Je lui ai été présenté. Quand il venait à Paris on allait chez lui, dans son petit appartement situé rue du Cherche-Midi, dans un hôtel particulier. Il y avait des tableaux par terre, les proches de Warhol et deux, trois gonzesses, pour le glamour. Mais je ne peux pas dire l’avoir connu, et je pense même que personne ne peut dire avoir connu Warhol : il était complètement mutique, mettait les gens très mal à l’aise et n’avait aucune conversation !
Sa manière de faire les interviews m’a énormément marqué. Il pouvait discuter au restaurant avec l’acteur Jack Nicholson, et soudain appeler le maître d’hôtel pour lui demander du poivre.
C’était un art de l’interview très inusité à l’époque, et je m’en suis inspiré : on peut parler d’éthique avec un invité, et la minute d’après l’interroger sur sa coupe de cheveux. Et ça c’est complètement warholien. Plus tard, en 1992, j’ai créé Interview puis Entrevue avec Daniel Filipacchi. Il n’y avait pas de marché en France pour un magazine aussi classe, ultrachic et glamour, alors on l’a fait dans une version plus populaire. Mais c’est très vite devenu un journal pourri, et j’en suis parti deux ans plus tard. Enfin, le générique de l’émission Lunettes noires pour nuits blanches était un hommage à Warhol, avec ce défilé de portraits “warholisés” en couleurs primaires. Le titre même de l’émission était très warholien, avec ces lunettes noires qui vous cachent en permanence, comme lui se cachait sous sa perruque blonde. Encore aujourd’hui, mon émission sur Canal+ commence par un quart d’heure de célébrité offert à quelqu’un : quand j’y pense, je m’aperçois que Warhol a toujours été présent dans ce que je fais.
A dire vrai, l’artiste Warhol ne m’intéresse pas vraiment. Pour moi, le grand inventeur du siècle, c’est Marcel Duchamp avec le ready-made. Warhol est plutôt l’auteur d’un art business venu de la publicité, avec ses portraits sérigraphiés que les célébrités achetaient 25 000 dollars pièce. Ses films aussi sont importants, comme Sleep, ce plan fixe de six heures sur un type en train de dormir. Mais ce qui compte le plus à mes yeux, c’est son personnage, c’est le quart d’heure de célébrité, Interview, la Factory, et sa Philosophie de A à B, un livre que j’ai beaucoup lu. Warhol avait plein d’idées, comme ce restaurant où on irait bouffer seul devant une télévision. Son style de vie m’a beaucoup marqué : cette vie mondaine, paillette en surface, mais vécue avec distance, solitude et détachement.”
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