Les désillusions d’une jeune fille dans un Bucarest converti au capitalisme. Frais et dépouillé.
Depuis l’essor de la nouvelle vague roumaine, consacrée par la Palme d’or de 4 mois, 2 semaines…, le public, la critique et les cinéastes de ce courant ont leur idée du film roumain typique. Un objet réalisé avec les moyens du bord, entre Nouvelle Vague française (pour la liberté) et néoréalisme italien (pour l’acuité documentaire), où il s’agit de solder la période Ceausescu et de croquer la transition vers le capitalisme à coups de longs plans, scènes de cuisine et pittoresque kitsch (survêtements de jogging et papiers peints anxiogènes). Ce premier long métrage s’en souvient et propose un concept ingénieux, qui l’arrache du naturalisme de rigueur si bien maîtrisé de la nouvelle génération. Soit une chaude journée d’été à Bucarest. La jeune Délia vient de gagner une voiture à un concours organisé par une marque de jus d’oranges. Condition : elle doit tourner une réclame vantant le produit, au volant de son gain. Ses parents voudraient qu’elle vende la voiture pour ouvrir un gîte. Délia n’est pas d’accord. Le film est un joli portrait de fille (l’actrice principale est à mi-chemin entre Anaïs Desmoutier et Marilou Berry) qui veut juste rêver un peu grâce à cette voiture. Elle et ses parents n’ont en fait ni tort ni raison dans leurs aspirations et l’évocation du fossé entre générations est équilibrée avec ce qu’il faut de distance et de mélancolie douce.
Sur le papier, La Fille la plus heureuse du monde semble linéaire mais la réalisation détourne l’attente (motif de la nouvelle vague roumaine) sur le mode du ressassement : Délia n’étant pas très bonne actrice, elle doit sans cesse refaire sa prise. S’ajoutent les aléas techniques, l’impatience de l’équipe de tournage et la tristesse de Délia, écrasée par les disputes familiales alors qu’elle doit transpirer la positive attitude. Cette répétition est pleine de sens, du petit enfer que traverse Délia, de ses désillusions quant à la société de consommation. Coincé en mode repeat, le film évoque presque Un jour sans fin, belle comédie sisyphéenne, dont il offre une version dépouillée, rêche mais très réussie.