Dans les pages du New Yorker, le cinéaste s’accorde une sympathique digression sur la réincarnation, les homards et l’ancien patron du NASDAQ. Sa propre vendetta camouflée sous les traits d’un conte sensible et drôle.
Longtemps consigné dans son appartement de Manhattan, Bernie Madoff a plaidé coupable le 12 mars dernier pour une fraude atteignant 65 milliards de dollars. Le financier évitait par la même occasion un procès fastidieux et l’obligation de révéler toutes les ficelles de son « Ponzi Scheme« . Une énorme escroquerie qui alimente finalement le culte autour de son auteur.
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[attachment id=298] Alors que la justice continue de tracer les avoirs du financier à travers le monde, la prestigieuse revue hebdomadaire The New Yorker laisse la parole à Woody Allen. Le cinéaste a décidé de traiter les événements par le prisme d’une fable confrontant Bernie Madoff et deux de ses victimes. Extraits.
« Il y a deux semaines, Abe Moscowitz est mort d’une crise cardiaque avant d’être réincarné en homard. » Dentiste de son vivant, Abe Moscowitz atterrit donc dans l’aquarium d’un restaurant chic de l’Upper East Side. Après avoir retrouvé Moe Silverman, un ancien partenaire de rami, lui aussi réduit à l’état de crustacé, Moscowitz se plaint de son état jusqu’à l’arrivée de l’élément perturbateur.
« Se sentant déprimé et en colère, Moscowitz barbote, incapable d’imiter la résignation bouddhiste de Silverman devant la perspective d’être servi façon thermidor. A ce moment, rentre dans le restaurant et s’assoit à une table voisine Bernie Madoff en personne. Si Moscowitz était déjà particulièrement amer et agité, maintenant il s’étouffe et agite sa queue comme un moteur Evinrude. ‘J’y crois pas’, dit-il, pressant ses petits yeux noirs contre la vitre. ‘Ce goniff qui devrait être en prison en train de casser des cailloux ou de faire des plaques d’immatriculation a réussi à sortir de son appartement pour aller dîner.’ (…) Moscowitz réprime un afflux d’acide, un petit problème de santé hérité de son ancienne vie. ‘C’est à cause de lui que je suis ici.’
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Son compagnon de bocal renchérit : » ‘Ne m’en parle pas,’ dit Moe Silverman. ‘J’ai joué au golf avec lui en Floride, c’est le genre de mec à pousser la balle dans le trou quand tu as le dos tourné.’ ‘Chaque mois, il m’envoyait un bilan,’ ajoute violemment Moscowitz. ‘Je savais que ces chiffres n’étaient pas kasher, et quand je rigolais avec lui en disant que tout ça ressemblait beaucoup à un schéma de Ponzi il s’étouffait avec un kugel. Je devais procéder une manœuvre d’Heimlich.' »
S’ensuit un dialogue entre les deux homards sur les circonstances de leur mort, provoquée par la fraude de Madoff. Moe Silverman explique : »‘Le jour où j’ai appris qu’il pouvait s’occuper de mon compte, j’étais tellement excité que j’ai coupé la tête de ma femme sur toutes nos photos et je l’ai remplacée par la sienne. Quand j’ai appris que j’étais ruiné, je me suis suicidé en me jetant du toit de notre club de golf à Palm Beach. J’ai du attendre une demi-heure, j’étais le 12ème dans la file d’attente.‘ » Passablement excédés, les deux homards se rebellent. Renversent l’aquarium et se ruent sur l’homme d’affaire. Dans un absurde pugilat, entre pinces et antennes, Moscowitz hurle : « ‘Voilà pour les veuves et les oeuvres de charité.' » Madoff, incapable de se défendre, est finalement contraint à l’abandon. Il plaide coupable tandis que les gentils crustacés parviennent à s’échapper.
Bernie Madoff continue donc de s’inscrire progressivement dans l’imaginaire collectif américain. Symbole du côté obscur de Wall Street, arnaqueur en temps de crise et incarnation du mal, on pouvait ainsi le voir grimé en Joker (rapport à Batman) en couverture du New York Magazine. Preuve supplémentaire de sa célébrité, le ramdam déclenché par des petits malins responsables de l’exhumation de cette photo de Bernie the Crook à un anniversaire en 1999.
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Chaîne en forme de dollar et fourrure, Madoff faisait déjà le malin déguisé en Snoop Dogg (à moins que ce ne soit un fake, ce qui n’enlèvera de toutes façons rien au mythe).
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