Le film de vampires vampirisé par une sitcom teen sentimentale et sexy. Second opus toujours aussi gracieux.
Aux USA, les films ont un genre. Pas seulement un genre cinématographique (thriller, comédie…), mais un genre sexué (homme/femme). Ou plutôt les genres cinématographiques sont tellement constitués, s’adressent à des publics si précisément ciblés qu’ils en déterminent le genre (aux mecs les films d’action, aux filles les comédies romantiques…). Le partage est si entendu qu’il a fini par devenir une blague courante de scénario, qu’il va de soi par exemple pour la police qui veut le capturer que, dans Public Enemies, le gangster Johnny Depp n’est pas allé voir un film avec Shirley Temple mais un thriller (et il mourra de la prévisibilité et du trop grand déterminisme de ses goûts). Et c’est un classique du teen-movie que les garçons s’humilient à voir des films de filles (avec des sentiments et pas de gunfights) pour espérer leur rouler une pelle dans le noir. Dans le premier tiers de Twilight 2, Bella, l’evanescente adolescente amoureuse d’un vampire (mais civilisé, qui n’égorge pas les humains), se remet difficilement d’un chagrin d’amour. Au premier pas timide qu’elle esquisse vers la vie, en s’asseyant à la cantine du lycée, un garçon un peu nerd, maladroit, pas sexy, lui propose de l’accompagner au cinéma. Selon une stratégie éprouvée, il lui propose d’aller voir une comédie romantique. Mais la jeune fille éplorée n’a aucune envie de voir sur écran une histoire d’amour qui marche. Elle réclame donc d’aller voir plutôt tout le contraire : un film d’action qui s’appelle Pusher Face. Le soupirant s’avère alors un peu dépité : il semble que lui, jeune mâle un peu défaillant, avait réellement envie de voir la comédie romantique. Et, comble de l’humiliation, Bella impose au rendez-vous un second prétendant, le très masculin Jasper, qui, lui, se réjouit de voir Pusher Face.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Le plan dans le cinéma est superbe : hors-champ, on entend la bande-son caricaturale d’un blockbuster d’action, toute en déflagrations et hurlements ; à l’image, on voit deux garçons, l’un fasciné par l’écran, l’autre assez rebuté, qui encadrent Bella ; chacun d’eux pose sa main offerte un des deux accoudoirs, de sorte que, si elle a peur, elle n’a qu’à choisir à qui elle veut prendre la main.
Ce dilemme entre le film de filles et le film de garçons est la tension qui nourrit toute l’entreprise Twilight. Son ambition consiste à faire l’un sous le couvert de l’autre et d’entrelacer leurs codes respectifs. La beauté du premier Twilight tenait à sa façon de toujours différer le moment où démarrerait le film d’action. Les combats entre tribus de suceurs de sang, les chasses spectaculaires promises par le genre, s’effaçaient au profit d’une romance qui s’éternisait contre toute logique d’efficacté narrative. Toujours plus de paroles, d’atermoiements amoureux, de volte-face entre “j’ai envie” mais “je ne peux pas”, de rediscussions sans fin sur les complications du désir en surchauffe, venaient contrarier le programme, supposément masculin, du blockbuster.
Le second épisode recentre un peu le débat. Les scènes d’action scandent plus régulièrement le récit ; un groupuscule de hooligans des forêts, un peu loups-garous sur les bords, recharge le film en testostérone. Malgré sa ligne dramatique plus musclée, Twilight 2 ménage de très beaux moments de suspension, où le film semble oublier son genre. La chronique de la dépression amoureuse de Bella, la très lente attraction qui la mène dans les bras de Jasper, la délicatesse de l’étude sentimentale donnent au film son charme singulier. Et la classique morale, qui veut qu’en amour on refasse toujours les mêmes erreurs, trouve son illustration paroxystique dans ce trajet qui pousse l’amoureuse déçue à se consoler d’un vampire dans les bras d’un loup-garou.
Mais il n’y a pas que le programme du film d’action qui se suspend dans Twilight, au profit de belles stases bavardes de psychologie féminine étourdie. Le sexe y est lui aussi indéfiniement suspendu. Parce que l’auteur des romans desquels sont adaptés les films est issue de la communauté mormone, on a beau jeu de voir dans cette façon de toujours retarder le passage à l’acte un manifeste puritain pour l’abstinence. L’impératif de la frustration (puisque s’ils baisent, l’ébat peut virer en orgie de sang) est surtout une ruse pour filmer des corps turgescents, sans cesse en train de gémir en se retenant, et organiser un ballet sans fin de frottements et de tortillements. L’interruption est la figure maîtresse du film : interruption du programme vampirique pour l’idylle romantique, interruption des attouchements sexuels au bord du passage à l’acte, interruption aussi de l’enchaînement narratif, extrêmement brutale, puisque, selon le principe feuilletonnant d’une série, l’histoire ne se clôt pas, se suspend même sur un nouveau climax.
Le film joue avec le feu, retire ce qu’il promet, mais ne cesse de promettre davantage, s’amusant, espiègle, avec la mécanisme même du désir. Et ce qu’il exauce est peut-être un rêve de jeune vierge : se repaître sans fin de l’étape des préliminaires. Non, pas encore.
{"type":"Banniere-Basse"}