Un petit escroc se fait passer pour un entrepreneur public et construit un tronçon d’autoroute. Portrait lyrique d’un mytho hissé au rang de bel utopiste.
Par son ampleur de récit, le foisonnement de ses personnages, la teneur à la fois concrète, abstraite et symbolique de son sujet (qui n’est pas forcément celui qu’on croit au début), A l’origine est un film français d’une rare ambition. Et à quelques bémols près (toujours quelques minutes de trop sur la fin malgré les coupes depuis Cannes, musique parfois trop présente), Xavier Giannoli réussi son pari.
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Inspiré de faits réels, le film nous conte l’aventure étrange d’un certain Philippe Miller, quadra moyen, sans éclat particulier. Les premières scènes nous le présentent en train de maquiller un véhicule utilitaire, de fabriquer du faux papier à en-tête et de quadriller mystérieusement la carte routière du nord de la France. On est manifestement en présence d’un escroc amateur. Découvrant un chantier autoroutier à l’abandon, Miller va bientôt se faire passer, auprès des élus et des entrepreneurs de la région, pour l’émissaire d’une grande entreprise de travaux publics souhaitant reprendre la construction de la bretelle d’auroroute abandonnée quelques années auparavant à cause des protestations d’associations écologistes. Parce que, “à l’origine”, il y avait un problème de scarabées menacés de disparition par les travaux…
A l’origine est donc d’abord le portrait d’un imposteur, un personnage cependant peu sûr de lui, un être roublard mais pas nécessairement mauvais qui se retrouve pris dans l’engrenage de ses propres mensonges. Et le tableau de la supercherie que dresse Giannoli produit à la fois du suspense et de l’information. On assiste avec une certaine jubilation aux stratagèmes prévus ou improvisés de Miller, on se demande combien de temps il va tenir avant d’être découvert, on apprend comment inventer une entreprise pipeau et bricoler les quelques signes extérieurs qui semblent attester de son existence.
Mais au-delà du portrait de l’imposteur, il y a le contexte dans lequel il évolue, et tous les personnages qui gravitent autour de lui : région minée par le chômage, élus locaux désemparés, dirigeants de PME à l’affût de nouveaux contrats, jeunes adultes en déshérence entre petits boulots et inactivité… On est chez les Ch’tis mais versant réalisme social, loin du folklore et proche du marasme actuel. Cet arrière-fond très prégnant à la Dardenne reste descriptif, induisant la critique sociale au lieu de la brandir à bon compte.
Si les magouilles de Miller ont une origine, si la région Nord est engluée dans la crise et la grisaille, le projet escroqueur de Miller et le film de Giannoli vont prendre des bifurcations inattendues. A la tête d’un gigantesque chantier, Miller se retrouve pris, habité, dépassé par son projet. Electrisé par l’énergie du collectif et l’espoir qu’il insuffle autour de lui, trouvant subitement un sens fort à son existence, Miller mène son plan non plus pour l’argent ou pour le pouvoir, mais pour le projet lui-même. Bâtissant une portion d’autoroute sans destination, Miller prend conscience que c’est le trajet qui compte, pas le point d’arrivée. Acteur, producteur, metteur en scène de sa bretelle d’autoroute pirate, Miller ne raccordera pas au réseau routier mais aura réussi une “performance” et fédéré des énergies.
Antihéros épique, bâtisseur d’une utopie qui aura mis des gens en action avant de se fracasser contre la réalité, Miller et son autoroute sont évidemment la métaphore de la création artistique et du cinéma. A la fois mythomane pathétique à la Jean-Claude Romand et rêveur généreux à la Coppola ou Cimino, Miller (incarné par l’excellent François Cluzet) représente peut-être l’idée de cinéma de Xavier Giannoli, tiraillée entre grandeur américaine en scope et francitude plus collée au réel, entre le monde tel qu’il devrait être et le monde tel qu’il est.
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