Un cadre escroque joyeusement son entreprise avec le soutien innocent du FBI : une comédie d’arnaque drôle et féroce.
L’affabulateur est un personnage très fréquenté du cinéma contemporain. Et ce que racontent ses mensonges, c’est tout ce qui sépare deux traditions de cinéma : l’une française, l’autre américaine. Chez nous, dans L’Adversaire de Nicole Garcia, L’Emploi du temps de Laurent Cantet ou plus récemment dans A l’origine de Xavier Giannoli (découvert à Cannes, distribué en novembre), l’affabulateur est une victime, un homme souffrant qui ment pour remonter le courant d’un destin accablant. Il vit dans la désolation de films gris-bleu souvent sinistres et suscite la compassion.
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Dans les films américains au contraire, l’affabulateur – DiCaprio dans Arrête-moi si tu peux, Will Smith dans 6 degrés de séparation, Jim Carrey dans I Love You Phillip Morris, et maintenant Matt Damon dans The Informant! –, est une figure plus glorieuse. C’est une machine à fiction emballée qui brasse avec voracité les mensonges, un joueur plein de panache pour qui, même s’il finit par tomber, la partie vaut toujours le coup d’être jouée. D’un côté de l’Atlantique donc, des drames de la culpabilité, où le mensonge n’est que le symptôme d’un mal-être, une forme de démission face au réel ; côté USA, où rien n’est plus valorisé que le storytelling, des comédies féroces où l’affabulation devient à l’inverse une puissance transgressive dont le récit jubile.
Mark Whitacre, le héros de The Informant!, est en cela un affabulateur bel et bien américain : il n’a accès à aucune forme de culpabilité. Jusqu’au bout, à savoir lorsque les innombrables malversations, détournements de fonds… qu’il a opérés sur le dos de son entreprise sont mis à jour, il continuera à vouloir justifier ses mensonges par de nouveaux mensonges. Ce qui l’agite reste une énigme. Même la pathologie qui pourrait expliquer son comportement, il l’invente (en falsifiant un dossier psy le décrétant bipolaire). Tout comme son trauma fondateur (la perte de ses parents dans un accident, alors qu’ils mènent une existence tranquille dans une banlieue middle-class).
L’astuce de Soderbergh est de doter ce grand manipulateur d’une voix off, mais même ses pensées intérieures ne révèlent rien de ses agissements. Comme si, même au fond de lui, il continuait à mentir ; aucun double fond ne permet de le comprendre. Il n’est défini que par une chose : une incroyable habileté à embarquer son prochain dans ses bobards d’escroc. L’habillage seventies du film, entre Conversation secrète de Coppola et Message à caractère informatif de Nicolas et Bruno (musique d’ascenseur, couleurs marronnasses…), frise la coquetterie un peu vaine. Mais Soderbergh réussit vraiment à partager la fascination que ce personnage à la fois misérable et grandiose lui inspire. Très drôle, un peu méchant, The Informant! est un film réjouissant.
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