Un marin descend dans le Grand Sud glacé argentin au chevet de sa mère. Un trip tellurique et minimal.
« Je considère le scénario ou la continuité dialoguée comme une sorte de guide”, explique Lisandro Alonso dans une note. On n’est pas obligés de croire à cette sentence qui sonne comme une blague, ou au mieux comme un mystérieux paradoxe. En effet, dans ce film comme dans les précédents du cinéaste argentin, on doit entendre trois phrases, à tout casser.
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Liverpool, c’est à la fois un road-movie silencieux, comme Los Muertos, et l’étude laconique d’un lieu et de ses habitants, comme La Libertad et Fantasma. Le récit en est minimal, réduit à sa plus simple expression : un marin demande une permission à son capitaine afin d’aller rendre visite à sa vieille mère dans un village situé au fin fond de la Patagonie ou de la Cordillère des Andes. Le trajet du marin sur la terre ferme sera filmé par séquences en temps réel, Alonso ne faisant pas l’économie de nous montrer les marches à pied, les étapes en bus ou en stop, les arrêts dans des tavernes ou hôtels de fortune, les moments faibles ou non-événementiels du voyage. Il s’agit de nous faire éprouver quasi physiquement la durée, l’effort, les difficultés qu’engendre un tel périple. Et c’est du cinéma – du cinéma chimiquement pur, pourrait-on dire. De l’enregistrement patient et intense de lieux et de corps, un sens constant du cadre et de la lumière, un soin minutieux du son – la bande sonore constituant quasiment un film dans le film à elle seule.
On sait d’où vient le cinéma de Lisandro Alonso : du cinéma moderne, des expériences d’une Chantal Akerman ou d’une Marguerite Duras (moins le dialogue). Mais aussi de périodes plus anciennes et archaïques du cinéma, du muet, des premiers films hollywoodiens étreignant les grands espaces américains – le motif de l’homme qui revient dans sa ville est d’ailleurs un archétype du western.
Quand le marin arrive enfin dans son village, on aborde une sorte de deuxième partie du film, plus immobile, recelant un drame familial en sourdine. Il y a là la vieille mère qui ne quitte plus son lit, mais aussi une jeune fille mutique, peut-être la progéniture du marin abandonnée des années plus tôt. On devine que quelque chose s’est passé, mais on ne sait pas exactement quoi. Peu est dit, tout est murmuré du bout des lèvres, suggéré par une caméra douée de la vue mais pas de la parole. Comme dans tous les films d’Alonso, un mystère demeure, irrésolu. Le village est un petit noyau de civilisation archaïque, un univers où la parole s’efface au profit des gestes et des regards, où la vie humaine semble réglée sur les paysages et les saisons.
Comme les autres films de Lisandro Alonso, Liverpool évoque également ses contemporains taiseux, le brun Pedro Costa du sud ou le blond Sharunas Bartas du nord. Mais Alonso étant argentin, son cinéma renverse les repères cardinaux. Ici, plus le marin s’enfonce vers le sud, plus il progresse vers le froid, la neige, une désertification hivernale qui évoque le Grand Nord. Liverpool, c’est l’Amérique de l’extrême Sud, l’Argentine qui se fait Finlande. En tout cas, ce n’est pas l’Angleterre, ni les Beatles, ni Anfield Road. Liverpool, c’est un tout petit détail dans le film, un trésor pour l’un des personnages, qu’on laissera découvrir à ceux qui iront voir ce film radical, fier et droit, où le seul effet spécial est le simple geste de regarder, d’écouter et de filmer.
En salle le 15 août.
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