Presque star, petite fille perdue dans sa grande villa de Beverly Hills, elle est morte un matin de 2009, à 32 ans, devant le miroir de sa salle de bains. Saura-t-on jamais ce qui a tué Britanny Murphy ?
Alors que tout Hollywood est en train de terminer son yoga et s’apprête à boire un jus d’herbes, ce 20 décembre 2009, à 8 heures du matin, le standard du Los Angeles Fire Department reçoit un appel d’urgence : une jeune actrice vient de perdre connaissance dans la salle de bains de sa villa, sur les collines de la ville. Arrivés sur place, les pompiers tentent de la réanimer, sans succès. Elle est en détresse respiratoire. L’ambulance la conduit au Cedars-Sinai Medical Center (l’hôpital le plus célèbre du monde, sans doute pour sa situation « de rêve », juste en contrebas de la plus grosse concentration de villas de stars). A son arrivée, son coeur s’est arrêté. Brittany Murphy, 32 ans, est déclarée morte à 10 h 04. Brittany qui ?
Son rôle le plus connu : petite amie d’Eminem dans 8 Mile
Le nom vous dit vaguement quelque chose, mais vous êtes bien incapable d’y associer un visage. Pourtant, il y eut un moment, au début des années 2000, où elle aurait pu, aurait dû percer. Son rôle le plus connu reste celui de la petite amie d’Eminem dans 8 Mile. Sexy et volontaire, elle offrait à Marshall Mathers, dans un entrepôt, une scène d’amour hautement fétichisée par les adolescents – à en croire le nombre de vidéos reprenant ce moment sur YouTube quand on y tape le titre du film.
http://www.youtube.com/watch?v=q1jc7LIQCxE
Mais la première apparition de Brittany Murphy eut lieu quelques années plus tôt, dans Clueless (1995) d’Amy Heckerling : elle y joue la copine d’Alicia Silverstone, une homie du Bronx frisée, brune et boulotte qui essaie tant bien que mal de s’adapter à Beverly Hills. Ici comme dans de nombreuses autres comédies plus obscures qui jalonneront sa carrière, elle montre un don burlesque que feu Roger Ebert, l’institution critique américaine, n’hésitera pas à comparer à celui de Lucille Ball. Dans le registre de la blonde petite et menue avec, au fond d’yeux globuleux, ce grain de folie étrange qui la distingue de la bimbo en une fraction de seconde, on pourrait dire qu’Amanda Seyfried l’a depuis remplacée. Avec plus de chance pour l’instant.
Brittany Murphy a voulu très tôt chanter et danser : dès 5 ans, elle fréquente une école spécialisée, et à 13 ans, ayant quitté le New Jersey de son enfance, elle décroche ses premiers rôles dans des téléfilms et des séries télé. Elle travaille énormément ; pourtant, qui se souvient de la quarantaine de films qu’elle tourne entre Clueless en 1995 et sa mort en 2009 ? Il y a un moment, vers 2003, où ça y est, elle semble « installée ». Après 8 Mile, elle enchaîne avec une comédie romantique aux côtés de son petit ami de l’époque, Ashton Kutcher (Just Married, 2003), puis un film où elle joue la nounou de Dakota Fanning (Uptown Girls, 2003) et un petit rôle dans Sin City (2005). Et puis non, finalement : son nom redescend dans les affiches. Parcourir la fiche Wikipédia de Brittany Murphy, c’est faire l’expérience de la cruelle friabilité d’une carrière hollywoodienne. Même quand on est « à ça », c’est encore trop loin.
Mauvais timing
La malchance pèse sur elle : alors qu’elle doit jouer dans un biopic sur Janis Joplin en 2001, rôle pour lequel la VHS de son audition circule dans le milieu comme le Saint-Graal, les droits musicaux se révèlent impossibles à négocier et le projet tombe à l’eau. Et quand elle livre une performance toute cuite pour une nomination aux oscars (comprendre : une folle), dans Don’t Say a Word face à Michael Douglas, le film sort le week-end qui suit le 11 septembre 2001 et sombre dans l’oubli. Le timing est décidément grimaçant.
Plus ou moins inexplicablement, plus ou moins arbitrairement, à partir d’un certain moment les rôles se raréfient, les rumeurs s’amplifient : on la dit toujours en retard, incapable de mémoriser son texte, une réputation de « gentille ingérable » la poursuit et, évidemment, la drogue vient parfaire le tableau. Pourtant, son rapport d’autopsie sera sans équivoque, les causes de sa mort sont naturelles : pneumonie, sévère anémie et présence de médicaments pour traiter une infection respiratoire et un rhume. Sa mère comme son mari auront beau s’égosiller après sa mort pour dire qu’un souffle au coeur diagnostiqué à l’adolescence lui avait interdit l’accès aux psychotropes, il y avait toujours eu dans les yeux lourds et facilement cernés de Brittany Murphy quelque chose d’inquiétant, qui pouvait rendre troubles ses minauderies.
Une longue descente aux enfers
Durant les mois qui précèdent sa mort, la blondinette est écartée de plusieurs projets : on lui retire le doublage de Happy Feet 2 alors qu’elle avait fait le 1, elle perd un rôle dans The Expendables de Stallone. Elle commence à lâcher prise, veut déménager à New York où elle et son mari, Simon Monjack, un scénariste raté, pourront redonner un nouveau souffle à leurs carrières respectives. Elle a pris en grippe sa maison : chaque fois qu’ils passent par Sunset Boulevard vers leur villa de Rising Glen Road, Brittany Murphy regarde le logo vintage du Beverly Hills Hotel en rêvant d’y dormir. Elle ne peut plus supporter la bâtisse de trois étages au style méditerranéen qu’elle a achetée en 2003, avec ses meubles, à Britney Spears, pour 3,9 millions de dollars. La chanteuse de Toxic y a vécu quelques mois avec Justin Timberlake, et on ne peut pas dire qu’elle lui ait porté chance non plus.
La salle de bains où elle trouvera la mort devient l’ultime refuge de Brittany Murphy : dans ce dédale de pièces king size, la seule qui soit à l’échelle de la petite brindille d’1,58 m est cet antre aux murs couleur pêche, dans lequel elle passe des heures et des heures à se regarder, à essayer un par un les cosmétiques entassés sur chaque parcelle du plan de travail. Elle y pousse la chansonnette (elle a une très belle voix) en découpant dans les magazines les tenues qui lui plaisent (détails relatés dans le long article d’Alex Ben Block, « The Final Difficult Days of Brittany Murphy », publié dans le Hollywood Reporter du 11 novembre 2011).Tout cela pendant que la villa se charge d’une atmosphère de plus en plus délétère : sa mère, qui occupe un étage de la maison, n’est pas en très bonne santé, et le mari de Brittany l’entretient dans une paranoïa vis-à-vis d’Hollywood, sans doute parce que lui-même n’est pas très net.
Simon Monjack a laissé dettes et loyers non payés chez ses nombreuses petites amies précédentes, et arnaqué pas mal de gens dans le milieu. Il possède lui aussi une santé approximative, souffre d’attaques à répétition. Plus tard, on dira qu’il était en parfaite santé mais souffrait du syndrome de Münchhausen (maladie psychique consistant à s’inventer sans cesse de nouveaux troubles physiques). Mais ça, ce sera après sa mort à lui. Oui, car le 23 mai 2010, soit cinq mois presque jour pour jour après Brittany Murphy, Monjack est retrouvé sans vie dans la villa de Rising Glen Road.
Qu’est-ce qui a tué Brittany Murphy ?
Le diagnostic ressemble étrangement à celui de sa femme : pneumonie aiguë et anémie sévère. Depuis, l’hypothèse d’une moisissure toxique ayant peu à peu gangrené les murs de la luxueuse maison a été avancée, sans être prouvée… La veille de la mort de la jeune femme, la tempête fait sauter les plombs plusieurs fois : on erre dans l’obscurité, manquant trébucher sur le petit chien de la maison, prénommé Clara, en hommage à Clara Bow, actrice des années 20 et personnage central du Hollywood Babylone de Kenneth Anger. Pour un peu, on se croirait dans un film de Nicolas Roeg. Alors, qu’est-ce qui a tué Brittany Murphy ? L’abus de médocs, la moisissure et/ou le mari toxiques, la salle de bains couleur pêche, le petit chien Clara ? Sa santé fragile ou tout simplement le coeur brisé par les vestiges de quelques rôles entrevus puis aussi vite échappés ? Elle est assurément la moins connue des « trash baby stars », mais son relatif anonymat donne à son histoire quelque chose d’éternel : un petit « conte » hollywoodien comme il en arrive (presque) tous les jours. Recouverte depuis par des monceaux de nouvelles morts, de nouveaux scandales, oubliée, Brittany Murphy garde pour elle ce destin loufoque et morbide à la James Ellroy et cette fin un peu old style Hollywood qui en font un petit fantôme unique rôdant dans les collines au-dessus de Sunset Boulevard. Une singularité que, précisément, elle n’avait jamais réussi à conquérir comme actrice.