Un Loach surprenant , avec une superstar iconique. Ooh, aah, du bon cinéma.
Répondant à une ouverture d’Eric Cantona, Ken Loach se saisit de la balle et feinte son monde. C’est la première fois qu’il dirige une vedette internationale, même si elle a construit sa renommée sur le rectangle vert plutôt que blanc. C’est aussi la première fois depuis un moment que Loach s’aventure franchement sur le terrain de la comédie, même s’il s’agit de comédie sociale enracinée dans un certain blues prolétaire.
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Postier, quinqua, largué depuis longtemps par sa femme, dépassé par ses fils ou beaux-fils adolescents, dépressif, usé, Eric Bishop est un anti-héros typiquement loachien. A part ça, il est également supporter de Manchester United et fan de Cantona, ce “King Eric” dont un gigantesque portrait égaie le mur de sa chambre. En parlant bêtement à son poster, Bishop se met à délirer et à “voir” Cantona en chair et en os.
Ken Loach réussit parfaitement ce dont il a l’habitude : toutes les scènes entre collègues postiers, les ambiances collectives et masculines, portées par la truculence des acteurs et le plaisir évident que prend le cinéaste à filmer ce corps social prolo. Les scènes avec Cantona, d’un registre nouveau pour Loach, flirtant avec le fantastique, sont plus étranges. Parfois un peu figées, comme si Loach se raidissait face à l’icône, elles jouent aussi avec une certaine réussite sur l’image du footballeur : Canto est ici à la fois lui-même et une légère caricature de lui-même, s’exprimant le plus souvent à coups de phrases-proverbes un peu sentencieuses, déclinaisons creuses, de son fameux “les mouettes et le chalutier”.
Quand il déclame dans son savoureux anglais méridional, “I am not a man, I am Cantona”, on sourit autant du trait humoristique que de l’ironie dont Cantona fait preuve vis-à-vis de lui-même et de sa célébrité. Moins réussie est la partie “tragédie du remariage”, où Bishop tente de renouer avec son ex. Le film ne nous fait pas “vivre” cet amour au temps de sa floraison. Prenant ce mariage dysfonctionnel au milieu du gué, le spectateur a logiquement du mal à se sentir concerné.
Il est curieux qu’un cinéaste aussi politique que Loach filme une histoire où un personnage s’en sort grâce à un deus ex-machina non réaliste – une idole qui s’incarne est un phénomène relevant plutôt du registre catholique ou paranormal que des convictions “rouges” du cinéaste. On est aussi surpris que Loach évoque le foot sans s’intéresser aux multiples zones d’ombre de ce sport-business. Manquant de fond de jeu ou de pugnacité sur certains aspects, Looking for Eric réussit néanmoins quelques beaux gestes fidèles à son projet de départ : faire exister Cantona dans son propre rôle et parler de la relation passionnelle entre les footballeurs et leurs fans.
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