Un déferlement de violence ludique au service d’une charge anticapitaliste. Le réalisateur de Spider-Man réussit son retour au genre horrifique.
Qu’a-t-elle donc fait, cette jeune fille bien sous tous rapports, banquière de 30 ans appréciée de sa hiérarchie, fiancée à un riche et beau parti, pour mériter cela ? C’est la question qu’on se pose continuellement devant Jusqu’en enfer, le treizième film de Sam Raimi, qui signe là, en petite pompe mais en grande forme, son retour au genre horrifique. Christine (Alison Lohman, appréciée dans Les Associés de Ridley Scott) a tout simplement refusé un prêt à une vieille Gitane sans le sou qui, pour se venger, l’a maudite et a lancé un démon à ses trousses. D’un point de vue stylistique, Jusqu’en enfer apparaît comme un retour aux sources (série B, cartoon, frousse), sans être pour autant un retour en arrière : guidé par la seule logique de jouissance, Raimi profite de la maturité de mise en scène acquise depuis une dizaine d’années (le virage classique d’Un plan simple) pour signer un modèle de film d’horreur, cent coudées au-dessus des innombrables faiseurs qui grèvent aujourd’hui le genre (sous la houlette de Michael Bay, le plus souvent). Nul besoin de pousser l’interprétation très loin pour saisir la dimension politique du projet : il y a un plaisir évident de la part du réalisateur, alors même que les banquiers de Wall Street ou Zurich jurent leurs grands dieux que la crise financière “c’est la faute au système”, à en attraper un par le col et à le faire payer pour tous les autres. D’une certaine manière, Jusqu’en enfer reprend l’idée d’Un plan simple – ou comment un brave type devenu le pire des salauds par égoïsme se fait punir méthodiquement pour son péché – mais l’exécute de façon plus décomplexée, volontiers potache.
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Christine subit ainsi, sans répit, les assauts répétés de forces démoniaques, matérialisées par des ombres censées faire très très peur (le côté “train fantôme” du film, pas le plus intéressant), ou par des outrages de plus en plus dégoûtants (Raimi prend un malin plaisir à introduire dans la bouche de Christine un tas de substances viles, de la bave, de la bile, de la boue…). Pire que les agressions physiques, les humiliations sociales constantes qui la ramènent à sa classe (une des premières scènes nous la montre essayant de corriger son accent campagnard), lui rappelle que son ascension est un mirage qui peut s’évanouir en un claquement de doigts.
Raimi n’est pas Loach (ni Bourdieu), et son film moins prétexte à la satire sociale qu’à un déferlement de violence ludique, mais il demeure malgré tout un cinéaste moral qui ne cesse de répéter : gare aux parvenus… L’ironie du film tient au fait qu’il pourrait très bien, lui aussi, en être un, de parvenu ; et derrière le personnage de Christine qui vend son âme au pire des diables (l’argent) pourrait se cacher l’autoportrait coupable d’un cinéaste de genre mal élevé qui, le temps de trois blockbusters monumentaux, est parvenu au sommet d’Hollywood. Peut-être faut-il en passer par l’enfer pour recouvrer sa liberté.
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