A l’occasion du 50ème anniversaire de la Tamla Motown, Francis Dordor goûte pour vous le miel sauvage de la ruche de Detroit, avec 15 disques, platinés ou discrets, qui ont fait la légende du label. Aujourd’hui : Me & Rock’n’Roll Are Here to Stay de David Ruffin.
[attachment id=298]David Ruffin Me & Rock’n’Roll Are Here to Stay (1974)
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Dans les années 60, David Ruffin se considérait comme le chanteur vedette des Temptations. En réalité ils étaient deux à pouvoir le prétendre, lui et Eddie Kendricks, mais David s’était mit dans l’idée de bénéficier d’un traitement de faveur. Il exigeait de se déplacer dans une Cadillac affrétée rien que pour son usage personnel, de descendre dans des hôtels constellés de plus d’étoiles, et situés à l’écart, de toucher de plus gros cachets et surtout, à l’instar de Diana Ross & The Supremes, de voir sur les affiches et les disques son nom précéder celui du groupe.
Résultat en 1968, après Cloud Nine, l’album qui marque l’entrée en psychédélisme des Temptations, monsieur casse couille fut débarqué et remplacé par l’ancien Contours, Dennis Edwards. Commença alors une carrière solo dont on a cru un moment qu’elle allait faire de lui un autre Marvin Gaye. Comme l’a écrit un jour David Morse : « Avec Ray Charles, il était l’un des rares susceptibles de transformer la ballade romantique la plus banale en un torrent émotionnel balayant tout sur son passage. » En 1969, il fit un carton avec My Whole World Ended (The Moment You Left Me) produit par Harvey Fuqua et Johnny Bristol.
Puis ce fut le trou noir. Capricieux et instable, on peut supposer qu’il tomba dans une sorte de disgrâce chez Motown.. Sinon comment expliquer qu’en 1971, année où Stevie Wonder et Marvin Gaye commencent à révolutionner le concept sonore du label avec, respectivement, Music From My Mind et What’s Going On, il ait pu enregistrer un bijou d’album accompagné par les Funk Brothers qui n’allait sortir que…trente trois ans plus tard.
Personne n’a jamais su les raisons exactes qui poussèrent les gens de la Motown à enfouir ce chef d’œuvre soul sur lequel figure une sévère resucée du I Want You Back des Jackson Five. En 2004, cette merveille perdue sera exhumée, augmentée de sept inédits, sous le titre de David, The Unreleased Album. David, qui avait succombé en 1991 à une overdose, ne fut jamais témoin de sa tardive réhabilitation.
Il avait pourtant failli obtenir réparation en 1974 avec Me & Rock’n’Roll ( Are Here to Stay), album produit par Norman Whitfield, qui entre temps avait aidé les Temptations à décrocher la lune avec Papa Was A Rolling Stone. Autant le dire, Me & Rock’n’Roll… est la plus grande chanson de revanche de tous les temps. Jamais production n’aura été aussi spectaculaire avec les arrangements de Paul Riser qui semble vouloir inviter Richard Wagner à une funk party sous les chutes du Niagara. Section de cordes, de cuivres, chœur gospel, percussions, et la voix survoltée de Ruffin coiffant le tout : Me & Rock’Roll est le genre d’ ouragan paranoïaque qui vous colle au mur. Seul moyen de s’en faire une idée précise, puiser dans les références mythologiques : Thésée affrontant le Minotaure, le Capitaine Achab défiant Moby Dick, Moïse ouvrant les eaux de la Mer Rouge. Avec l’album David, c’est l’autre trésor caché de la Motown.
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