Des fantômes californiens aux rudes immensités du Montana, le passionnant Jason Lytle, ex-tête pensante de Grandaddy et songwriter bouleversant, a trouvé sa cure. Il revient avec un album apaisé et lumineux.
[attachment id=298]On aimerait, un jour, qu’un cinéaste se penche sur le cas de Jason Lytle, tête pensante mais méchamment branlante des immortels Grandaddy. Il mériterait un passionnant biopic : Lytle est le prototype d’inadaptation totale à la modernité rock. Un homme qui, bouffé par ses angoisses abyssales, sa lassitude du cirque permanent, sa pauvreté, ses dépressions chroniques et son alcoolisme tuant a fini par saborder l’un des plus beaux groupes des quinze dernières années. On l’a cru perdu, Jason. La dernière interview du garçon remontait au dernier album de Grandaddy, Just Like the Fambly Cat. Il expliquait que le mystère des chats qui disparaissaient, en fin de vie, le fascinait. Qu’il trouvait ça respectable. On avait peur qu’il fasse de même. Il l’a fait, mais en phœnix plutôt qu’en félin. Il devait trouver son calmant bio : ce fut la nature. Lytle a quitté l’affreuse Modesto, en Californie, pour Bozeman, dans le Montana.
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« Les grands espaces du Montana, la nature, ça m’aide à penser, à trier ce qui se passe dans mon cerveau. Je peux toujours me retrouver sujet à des situations stressantes, mais je dois pouvoir me sortir de ça. Mon cerveau va beaucoup trop vite : je dois pouvoir me ralentir moi-même. J’adore toujours picoler, ça m’aide à faire baisser le rythme, mais j’ai une chance : j’adore sortir, passer mes journées dans la nature, faire de longs treks, du kayak, du ski de fond. Et ça réclame une certaine implication si on veut avoir l’impression de faire partie de ce qui nous entoure. Impossible quand on se sent comme une merde, un lendemain de cuite… C’est donc un préventif naturel. »
En arrivant dans le Montana, Lytle avait perdu sa musique. Il notait vaguement des idées, en pilier des bars du coin – qu’il a tenu à tester un par un dès son arrivée. Mais point de vrai plaisir, plus le goût. Un jeu mécanique, désincarné, dépassionné. Puis c’est revenu : le cerveau a trouvé un rythme de croisière moins houleux, les idées se sont remises en place, le désir a repointé son nez excitation en même temps que Lytle, grand nerd musical, a remonté son chalet-studio. C’était en hiver. Dans le Montana, les hivers ne déconnent pas. « J’ai beaucoup de fenêtres dans le studio. Ça a rendu les choses un peu surréalistes, métaphysiques. J’étais là, en train d’écrire quelque chose, je levais la tête, et je voyais des montagnes magnifiques perdues dans des cieux complètement dingues, des aubes ou des crépuscules incroyables, le vent fou qui pliait les arbres, la neige infinie. Un festin pour les yeux, on entre dans un autre monde. »
Fait en totale autarcie, le premier album solo du garçon, Yours Truly, the Commuter, ne perdra pas les fans de Grandaddy, sinon dans les larmes chaudes du bonheur retrouvé, sinon dans l’admiration sans borne pour le songwriting magique, triste et bouleversant de Jason Lytle. C’est un assez bon album de Grandaddy, et c’est un album apaisé, boisé, celui d’un type qui respire enfin, qui laisse son génie mélodique et ses idées tordues vagabonder sur des terres plus acoustiques, plus vallonnées. Parfois sombre mais souvent lumineux, Yours Truly, the Commuter est un début de guérison. “La dernière chose que j’ai entendue, j’étais donné pour mort”, chante Lytle, immense parolier à poil, en ouverture. Le dernier morceau, magnifique, s’intitule Here for Good. Là pour de bon : on s’inquiète moins, et on peut célébrons le retour.
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