Les Black Lips, Liars, et Deerhunter étaient cette semaine en concert à Paris. On est allé, on est revenu : on vous raconte tout ce qui s’est passé, aussi bien sur scène que dans nos oreilles.
Ariel Pink/Black Lips/Liars à la Villette Sonique le 28/05
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Le principe, formidable, de la Villette Sonique : mélanger à tel point les genres dans une même soirée qu’on ne sait jamais à quoi s’attendre. Un peu comme pour les premiers hommes qui ont passé le mur du son avec leur coucou, suréquipé pour l’occasion : on ne sait jamais vraiment si ça marchera. La combinaison d’hier soir n’a surtout pas échappé à la règle. Ariel Pink s’élance en premier et tente une approche en rase-motte, avec ses mélanges si particuliers de nappes psychédéliques sortis d’une lessiveuse enrouée. Mais le moteur manquait sûrement de kérosène, et on n’en retiendra que quelques loopings bien placés.
Les Black Lips, eux, arrivent dans leur avion-cargo pétaradant tous azimuts comme une moissonneuse-batteuse dans un champ de mines. Une grande salle et une petite fosse de teenagers surexcités à l’idée de voir du rock, du vrai, ou du moins ce que les quatre têtes brûlées ont à proposer, face aux Jesus Lizard, qui ont laissé la veille leurs traces de son crasseux dans l’atmosphère.
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Leur set commence en mode fusée, avec Drugs, puis Short Fuse en ascension jusqu’à Starting Over, et la gerbe très rock’n’roll de Cole Anderson qui lui fait perdre son micro, immédiatement chopée par un fan furibard pour y hurler le refrain. Rock’n’Roll peut-être, mais le manque de charisme et de consistance se fait cruellement ressentir sur la seconde partie. Dès lors le son trop net, trop limpide et pas assez crasseux justement, dessert les jérémiades rauques d’Anderson, et par extension l’alchimie qui leur donnait l’énergie en début de set.
Seul leur batteur paraît au dessus de ce foutoir organisé, et assène ses roulements de caisse comme une furie sous acide, communiquant sans effort toute sa hargne et ondulant comme un pantin désarticulé. On attend le haut le cœur qui nous fera chavirer, mais qui n’arrivera jamais.
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Heureusement Liars va débouler, et le petit bourdonnement désagréable va
disparaître pour laisser place à une espèce de bombardier noisy impressionnant d’envergure. Angus Andrew se tortille, possédé par l’alliance des deux batteries dont la déflagration fournit un terrain de jeu propice à des spasmes ensorcelés. Flippant. On passera sur les airs de ressemblance avec Will Ferrell qui nous font parfois hésiter entre le rire et la peur.
Lorsqu’il commence à bouffer son micro, c’est avec une telle ardeur qu’il emporte avec son t-shirt, et le déforme allègrement dans une position d’embryon diabolique. Sa voix se tord en accord avec ses contorsions, et s’ajoute à l’urgence grave de la basse. Liars sur scène, ça déboîte sévère.
Le public, réceptif toute la soirée, aura bien fait de rester jusqu’à l’apothéose finale, par un groupe impressionnant qui mériterait d’avoir plus de reconnaissance dans notre petit hexagone chéri.
Deerhunter au Nouveau Casino le 26/05
On attendait le quatuor d’Atlanta avec une certaine excitation ce mardi soir en faisant la queue rue Oberkampf. Il faut dire aussi que leur dernière prestation à la Maroquinerie avait laissé des traces de synthé dans les mémoires, et que, pour son plus gros concert parisien à ce jour, Deerhunter promettait monts et merveilles à un public déjà rompu à son monstrueux jeu de scène. Women venait d’ouvrir le bal, ouvrant une brèche aigüe à coups de larsens bien affûtés, et la salle se plongeait peu à peu dans une ambiance pop expérimentale, mijotée astucieusement en prévision du feu d’artifice à venir. Car feu d’artifice il y eût, Bradford Cox débarquant lunettes 3D (oui, celles en carton blanc) et t-shirt I Survived The Demon, amenuisant d’emblée, et sans forcer, toutes les appréhensions alors qu’il enchaîne les tubes, comptines et autres ballades shoegaze. Parmi ceux-ci, Nothing Ever Happened et Never Stops. Des titres qui résonnent comme une lutte contre la monotonie, la fatalité, la mort, tous ces écueils de la vie auxquels Bradford Cox souhaiterait échapper, et qu’il laisse ce soir des années-lumières derrière lui. Une longueur d’avance sur cette foutue maladie, qui comme Joey Ramone en son temps lui donne une allure squelettique. Une victoire aussi, sur les blessures laissées par le décès de son partenaire et ami Justin Bosworth. Ce soir le son est cristallin, limpide, élaboré, calibré au décibel près pour lui insuffler toute sa charge émotionnelle. Bradford 1, syndrome de Marfan 0. Sa voix aérienne s’épanche, voile salvateur sur un public embué par la moiteur ambiante : le Nouveau Casino paraît grand, très grand. Moses Archuleta tient fermement sa batterie, assurant les bravades post-punk à la Sonic Youth au milieu du flot de guitare saturée. De fil en aiguille, et après des Agoraphobia et autre Twilight At Carbon Lake aux dimensions surréelles, celui-ci se lance dans un martelage frénétique, alors que Cox descend dans la fosse et fait monter à sa place le premier quidam venu. L’ami s’excite sur la guitare, et Bradford s’amuse avec son appareil photo, sous les puissants coups d’Archuleta et des boucles de synthé qui n’en finissent plus de tournoyer (on pense à Animal Collective), pour un final d’une intensité rarement atteinte. En sortant tout étourdi, on se prend à regarder ses pieds, à marcher d’un pas léger, comme pour ne pas passer au travers du nuage sur lequel on se trouve. Plus de doutes, la comète Deerhunter s’est bel et bien affranchie de ses vieux démons, et met désormais le cap vers les étoiles.
Julien Coquet
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