A l’occasion du 50ème anniversaire de la Tamla Motown, Francis Dordor goûte pour vous le miel sauvage de la ruche de Detroit, avec 15 disques, platinés ou discrets, qui ont fait la légende du label. Cette semaine : The Jackson 5 avec avec Moving Violation.
The Jackson 5 Moving Violation (1975)
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En 1975, la carrière des Jackson 5 se trouvait à la croisée des chemins. Ce n’était plus exactement la pétillante fratrie qui 5 ans plus tôt régalait le public de l’Ed Sullivan Show avec des acrobaties millimétrées en costumes d’Arlequin, inspirait un dessin animé dominical et enfilait les tubes les uns après les autres (ABC, I Want You Back, The Love You Save…), mais un boys band à la recherche d’un second souffle. Michael, le plus jeune, le plus doué du clan, avait beaucoup perdu de son aura d’enfant Roi du show bizz. Hier encore les petites filles le dévoraient des yeux tandis qu’il bondissait sur scène à la manière d’un James Brown miniature, décochant des harmonies minérales avec un timbre de jeune faon en train de s’ébattre dans la clairière fleurie de son premier printemps. Or ne fleurissait plus chez lui à cette époque que des boutons d’acné qui le rendaient à la fois triste et furieux. La puberté était décidément une croix bien odieuse à porter.
A cette abjection dermatologique s’ajoutait l’infamie d’une voix qui s’autorisait à muer, à perdre de l’éclat cristallin des débuts pour émettre des sons plus graves. Voilà ce qui arrive lorsqu’on a commencé une carrière à 8 ans et demi. Une horreur ! Et puis il y avait aussi le goût de l’époque qui changeait. Les ballades guimauves encore inscrites à leur répertoire étaient passées de mode et l’heure était à la danse. Décidément, ce milieu des années 70 était bien délicat à négocier pour le quintet soul le plus populaire d’Amérique depuis les Temptations, et parmi les plus gros vendeurs de disque que la Tamla Motown n’ait jamais signé. L’affaire était suffisamment prise au sérieux pour que Berry Gordy décide d’un plan d’urgence.
[attachment id=298]On recruta une nouvelle équipe de producteurs, composée de Mel Larsen et Jerry Marcellino, en lieu et place de The Corporation qui avait accompagné les Jackson depuis leurs débuts. Mais beaucoup plus bluffant encore, on fit appel à la triplette magique des années 60, Holland Dozier Holland qui avaient quitté le label en 1968 dans un grand fracas conjuguant rancoeurs, noms d’oiseaux et actions en justice. Ce renfort inattendu, voire inespéré, voire ahurissant, illustre à quel point il s’agissait d’une opération sauvetage. H D H débarquèrent dans les studios Motown de Los Angeles à la manière de pompiers pyromanes. A la veille de la déferlante disco, Forever Came Today, Body Language et le morceau titre Moving Violation faisaient d’ailleurs grimper la fièvre du Samedi soir de quelques degrés avec de grands coups de boutoir à la batterie et des cocottes infernales à la guitare. Même s’ils s’auto citent dans Moving Violation (qui réutilise la fameuse intro de You Keep Me Hanging On des Supremes), HDH ne semblent pourtant pas être venu ici pour exécuter un travail de commande.
Ils ajoutent un peps et une étincelle qui confère à l’ensemble une modernité entre post funk et pré disco, où brassées de violons et stomp disco mènent le bal. Un alliage qui devait permettre au groupe de rebondir. Outre le fait qu’il s’agit d’un fabuleux et inusable « party record », dégageant cette énergie euphorisante caractéristique de la musique black west coast de l’époque, c’est aussi un moment stratégique dans la carrière des 5, comme de Michael en tant qu’artiste solo. Ce sera du reste le dernier album de la famille pour Motown. Après ce coup de maître, Joe Jackson père refusera de reconduire le contrat liant ses fils à Jobete, la maison d’édition de Gordy, préférant signer avec CBS/Epic.
Dans les mois qui suivront, le groupe se rebaptisera The Jacksons (le nom Jackson 5 appartenant toujours à Motown) et amorcera une triomphale seconde carrière chez Epic sous la direction artistique des maîtres de la Philly Soul, Gamble & Huff. Marié à une des filles Gordy, Jermaine restera quant à lui fidèle à son ancien label. Sans doute avec regret, car avec Destiny, Triumph et Victory, la tornade Jacksons allait non seulement tout emporter sur son passage mais aussi réinventer les canons du genre soul. Quant à la chrysalide transformant ce vilain petit boutonneux de Michael en Prince de la pop universelle, elle commence définitivement ici.
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