Quand le film d’arts martiaux chinois croise le western-spaghetti, cela donne un western mandchou foutraque et drôle.
Le titre l’indique. C’est clair, affiché : il s’agit quasiment d’une adaptation du Bon, la Brute et le Truand (1968), dernier volet de la trilogie western de Sergio Leone avec Clint Eastwood. Quasiment, car on est loin du remake. Le Bon, la Brute et le Cinglé est un hybride absolu, un chaudron de genres d’une audace rare. Avant tout un film de poursuite pétaradant, picaresque et ludique, qui remue de fond en comble le cinéma d’arts martiaux asiatique.
Kim Jee-woon est ailleurs et vient d’ailleurs, tant sur le plan géographique (il est sud-coréen) que de sa filmographie (il a surtout illustré les genres fantastique et policier). Il triture donc toutes sortes d’influences extérieures au western. Certains nomment ce nouveau genre “kimchi western” – d’après un terme culinaire coréen –, par analogie avec le western dit “spaghetti”. Mais ils ignorent que dans les années 1960 et 1970 un sous-genre florissant (peu importé) a prospéré en Corée parallèlement au western italien. On le baptisa “western mandchou”, car situé en Mandchourie, partie déserte de la Chine qui touche la Corée.
Si historiquement le western mandchou est né avant le western italien, il a vraiment démarré après le succès public en Corée en 1965 de deux films majeurs : Come Drink with Me, de King Hu, maître absolu du wu xia pian (film de sabre chinois), et Pour une poignée de dollars de Sergio Leone. L’un des chefs de file de ce sous-genre coréen sera un certain Jeong Chang-hwa. Le légendaire Im Kwon-taek participa lui-aussi à cette vague populaire avec par exemple Eagle of the Wilderness (1969). On cite également un remake coréen des Sept Mercenaires, intitulé Six Terminators (Kwon Yeong-sun, 1970).
Retour aux sources puisqu’au départ il y a un film de sabre japonais, Les Sept Samouraïs de Kurosawa. Tout ceci pour dire que, malgré sa dinguerie et son exubérance généreuse, Le Bon, la Brute et le Cinglé est la résurrection conforme (jusque dans les moindres détails : lieux, anachronismes, époque) d’un filon coréen oublié.
On retrouve donc de nombreux éléments narratifs et visuels du Bon, la Brute et le Truand dans ce pseudo-remake coréen (notamment le dispositif extrêmement graphique du duel des trois héros dans un lieu circulaire et désertique), ainsi qu’une flopée de clichés immémoriaux du western – l’un d’eux étant l’attaque du train, séquence principale du premier acte. L’histoire a beau se dérouler en Mandchourie dans les années 1930, sous l’occupation nipponne, on ne peut guère parler de reconstitution historique. Fidèle à l’antitradition du western mandchou, Kim Jee-woon cultive les anachronismes, qui renforcent la dynamique du récit, fuite en avant permanente qui mènera les héros à leur confrontation finale et fatale. Le caractère profondément hybride se traduit par l’allure disparate des héros. Le Bon, alias Do Won, est le chasseur de primes impénétrable avec cheval, Stetson et Winchester. La Brute, Chang-Yi, plus sophistiqué et plus caractérisé, évoque un gangster avec son costume noir et le guitar hero avec sa coupe de cheveux asymétrique (on pense au Prince de la grande époque). Quant au Cinglé, Tae-goo, c’est le plus asiatique et rétro avec son casque d’aviateur et son side-car.
Le Bon pourchasse la Brute, voyou sadique, qui lui-même course le Cinglé, tête brûlée, pour récupérer la carte d’un trésor mythique dérobée dans un train. Lors de la séquence de la poursuite, on bascule dans l’action pure, débarrassée de tout référent narratif, impulsée par le rythme mécanique de Don’t Let Me Be Misunderstood, tube disco-flamenco de Santa Esmeralda (idée piquée à Tarantino), surmultiplié par l’intrusion explosive de l’armée nipponne qui entre alors dans la danse.
Mais avant d’être un creuset total du cinéma d’action (guerre, polar, western, wu xia pian) et de s’en éloigner à la toute fin par une pirouette (rejoignant Let There Be Blood), c’est avant tout une comédie. Elle ne joue ni sur le timing, ni sur les gags, les situations ou les dialogues, mais sur la confusion bruyante et la vitesse. D’abord dans le train où l’on traverse à toute allure les strates sociales pour arriver à l’aristocratie. Ensuite, dans l’espèce de marché où se joue une des grandes séquences (de fusillade), avec le Cinglé dans le rôle farcesque du chien dans le jeu de quilles.
La vertu de ce film foutraque, doté d’une énergie inextinguible, est de faire franchir une nouvelle étape au métissage Est/Ouest. Si Hollywood dévoie Jackie Chan et Jet Li pour une piètre copie de film de kung-fu comme Le Royaume interdit, Kim Jee-woon réussit avec bonheur la greffe entre codes occidentaux et psyché orientale.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}