Le vase clos du collège comme plaque sensible de la société. Un beau moment de vie et de cinéma, Palme d’or à Cannes, et désormais en course pour les oscars.
0n saluait la semaine dernière le panache du film de Christophe Honoré à se situer dans un quartier bourgeois en se focalisant sur de purs enjeux intimes et sentimentaux – en une époque socialement dure où le non-affichage sociétal peut être mal vu. On salue cette semaine le film de Laurent Cantet et François Bégaudeau, notamment pour son aptitude à se hisser à une belle qualité cinématographique en dépit de son “sujet de société” gros comme un titre de JT de 20 h.
Car avant d’être un film “sur” (l’école, l’éducation, la jeunesse, le métissage, l’immigration, l’intégration, l’autorité, la transmission…), Entre les murs est un intelligent et sensible spectacle cinématographique, bien écrit, bien dialogué (par François Bégaudeau, adaptant son livre, lui-même fondé sur son expérience de prof), remarquablement interprété (encore par Bégaudeau, assez étonnant dans une propre fiction de lui-même, et par un ensemble de profs et collégiens qui frappent par leur aisance, leur cinégénie, leur présence, leur diversité de caractère et de tonalité), un film dont la mise en scène est aussi dense et dépouillée dans le détail de chaque scène que tenue et cohérente dans la globalité de l’ensemble.
Politiquement, Entre les murs évite autant l’autoritarisme simpliste à la Sarkozy (éducation à la baguette) que l’irénisme post-soixante-huitard (profs, élèves, tous copains-copains). Entre un prof qui craque à cause d’une classe ingérable, les élèves attentifs, les insolents ou les décrochés volontaires, le film montre le kaléidoscope de cultures, de niveaux scolaires, de maîtrise de la langue française et d’attitudes que peut être une classe d’aujourd’hui, les questions que cela pose, la difficulté d’apporter des réponses toutes faites ou satisfaisantes pour tous. Bref, chacun a ses raisons, mais il faut bien que l’école assure sa mission d’éducation, de transmission de savoir, d’éveil à la distance critique et à la faculté de jugement autonome, de préparation à la vie sociale et au monde du travail.
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Le pivot par lequel passent tous les enjeux du film est évidemment François, professeur qui n’est ni un maître en blouse grise à la Jules Ferry, ni un baba-cool barbu à pull marin prêt à copiner et “jeunismer”. La barrière prof-élèves est marquée, l’idée que l’on est là pour travailler et apprendre aussi. François est bien une figure d’autorité, mais dont le pouvoir ne passe pas par les gueulantes, les punitions ou les coups de règle : il s’agit plutôt de parler aux élèves comme à des adultes, de leur faire sentir que l’instruction scolaire est une des conditions de leur émancipation, de leur autonomie et de leur avenir.
Basée sur un dialogue ferme mais respectueux, la méthode de François semble bonne, mais elle n’est pas toujours couronnée de succès, certains élèves persistant à être “ailleurs”. Le rapport de François à l’autorité sera mis à mal lorsqu’il réalisera que la décision d’expulser trois jours un élève peut entraîner son expulsion définitive du territoire. Entre la nécessité de faire respecter certains principes de vie commune au sein du collège et le désastre possible d’un refoulement aux frontières, le dilemme est cornélien.
Comme dans L’Esquive, la question de la langue est centrale. Mais là où Abdellatif Kechiche organisait une sorte de fight poétique entre le français XVIIIe de Marivaux et la tchache des cités, Cantet et Bégaudeau insistent sur l’importance de bien maîtriser le français classique d’aujourd’hui – ni celui de Marivaux ni celui des “técis”, mais celui que l’on pratique tous les jours au centre de la société, et notamment au travail. Toute l’intelligence, la finesse et l’ironie du film consistent à basculer dramaturgiquement sur un problème de vocabulaire : le professeur trébuche dans un domaine qu’il est censé maîtriser, et un minuscule malentendu autour du mot “pétasse” aura des conséquences importantes. Langage commun du vivre ensemble ou sabir dissensuel marquant la fierté minoritaire ou générationnelle au risque de l’exclusion, la langue est un marqueur des questions sociales.
Le collège d’Entre les murs fonctionne parfaitement comme allégorie de la société française, creuset où se joue toutes les questions qui chauffent le pays. Si Cantet et Bégaudeau ne se voilent pas la face sur la part d’échec de notre système social et scolaire ou les zones d’ombre de notre républicaine “machine à intégrer”, ils montrent aussi qu’avec de l’effort individuel et de la volonté collective, un combat de tous les instants, on parvient à des résultats encourageants. Fait avec des collégiens d’un quartier populaire de Paris, Entre les murs est en lui-même une belle mise en pratique des espoirs théoriques qu’il porte et un début de réponse aux questions qu’il pose. Ici aussi, il y a de belles personnes.
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