De l’usage et des limites de la bonne humeur. Le portraitiste de la middle-class anglaise livre, sous la forme d’une comédie, un conte moral un peu confus.
Quatre ans après le lacrymal Vera Drake qui lui avait valu un Lion d’or facile à Venise, Mike Leigh est de retour avec une comédie qu’on pourrait sans doute qualifier d’ironique. Le problème avec l’ironie, c’est qu’elle n’est jamais sûre… Prenez une jeune femme britannique ostensiblement fofolle et énergique à l’accent cockney (Sally Hawkins, dans le rôle qui lui valut un Ours d’argent à la dernière Berlinale). Poppy (car c’est son nom à la ville comme à la scène) prend toujours la vie du bon côté.
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Elle aurait même tendance à brandir sa verve et sa bonne humeur permanentes comme un étendard un peu agressif – attitude qui s’avère assez peu communicative en regard des réactions agacées ou indifférentes qu’elle provoque chez ses contemporains londoniens (comme un libraire rasta, par exemple) et chez le spectateur (qui a toujours un peu l’impression d’entendre une craie crisser sur un tableau noir quand Poppy se met à blaguer), mais qui manifestement l’aide à survivre dans ce monde et cette société cruels et iniques. Quand elle ne travaille pas, Poppy s’éclate avec ses copines, elle prend des cours de flamenco (la meilleure scène du film, grâce à l’actrice qui joue la prof), fait du trampoline pour se défouler, et tout le monde l’aime bien.
Mais derrière cette façade de farfelue notoire se cache une âme noble et responsable. Poppy est institutrice d’école maternelle, ce qui la pose un peu. Elle assume gravement sa liberté, son célibat, sa maison, et toutes les conséquences qu’ils entraînent, dont la solitude serait la principale. Elle aime bien aussi les gens dans la marge, comme ce clochard qu’elle rencontre par hasard lors d’une nuit d’errance sur les docks (jolie scène, convenons-en).
Mais Mike Leigh n’en reste pas là. Le tableau social d’une certaine petite bourgeoisie populaire qui tente de résister comme elle peut à la grisaille quotidienne s’assortit peu à peu d’un conte moral et psychologique grâce à un nouveau personnage : la fréquentation régulière d’un moniteur d’auto-école paranoïaque et dépressif va en effet rappeler à Poppy que le rire n’est pas un bouclier universel, qu’il peut rapidement devenir une arme ou un danger quand les sentiments profonds des autres en sont la proie.
Rire de tout, c’est bien gentil, mais est-ce la panacée ? Est-ce la solution politique à tous les problèmes ? Mike Leigh semble délivrer ici une sorte de message personnel : “Cessez de ricaner, bonnes gens du peuple, votre rire meurtrit les plus faibles que vous. Tant que vous vous esbaudissez moult, les malheurs du monde continuent”. C’est en tout cas ce que nous avons cru comprendre, après deux visions du film qui nous ont laissés un peu perdus… Si Leigh n’est pas ironique, alors son film, quoique sympathique, n’est qu’anodin, le vague portrait impressionniste d’une jeune femme d’aujourd’hui. Avec ce son de craie qui crisse qui n’en finit pas de scier nos dents.
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