Chassé-croisé entre deux femmes et un homme, dans un psychodrame tissé de thèmes éternels. L’un des meilleurs films du cinéaste coréen.
Hong Sangsoo a le secret des titres qui font sens. Quelques semaines après la sortie en salle de Night and Day, voici enfin sur les écrans son film précédent, Woman on the Beach, présenté en 2007 à Berlin, qui peina à trouver un distributeur en France. Etrange destinée vraiment pour un film qui pourrait bien être l’un des meilleurs, l’un des plus riches (de sens, en portée, en sentiments variés qu’il inspire), l’un des plus achevés du cinéaste coréen.
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Il y a d’abord le titre, donc, qui comme souvent chez Hong – il a par le passé adressé quelques clins d’œil à Duchamp, Aragon, etc. – fait à la fois référence à la peinture (“femme sur la plage” a tout d’un sujet de tableau, d’un motif) et à l’un des films les plus mystérieux et secrets, l’un des plus malades aussi, de Jean Renoir, son dernier film américain, The Woman on the Beach (1947). Mais ne cherchez pas de rapport direct avec le film de Renoir. Hong Sangsoo peut écrire un film entier à partir d’un titre, uniquement pour son pouvoir évocateur. Tant mieux si Renoir a quelque chose à voir là-dedans. Woman on the Beach sera surtout sa version, sa variation sur un sujet donné, mais aussi un film de plage tramé de rêves, de ces images et de ces fantasmes qui peuplent le cinéma depuis toujours. Hong n’est pas un cinéaste directement référentiel, comme nous l’avons dit. Mais le cinéma peuple une partie de son imaginaire. On vogue donc, dans Woman on the Beach, sur des thèmes éternels qui hantaient déjà, parmi tant d’autres, des films comme Vertigo (Eurydice, la femme revenu du néant) à La Maman et la Putain (les deux amantes qui se lient d’amitié). Rien que ça.
Comme souvent chez Hong, il y a deux femmes qui n’en font qu’une. L’une dont un homme tombe amoureux, passionnément, sexuellement, subitement aussi, et l’autre qui la remplace quand la première n’est pas ou plus là. Cet homme tente alors de métamorphoser cette deuxième femme pour qu’elle ressemble à la première, d’autant plus idéalisée qu’elle n’est plus là. Cette aventure est vécue avec âme et tripes et tourments par Kim Jonng-rae, cinéaste célèbre dans son pays parti au bord de la mer terminer son scénario en compagnie de son assistant et de la petite amie de ce dernier, Moon-sook, jeune chanteuse et compositrice qui admire beaucoup l’œuvre de Kim… Que croyez-vous qu’il advint ? Il tombe amoureux de Moon-sook, joue les coqs de basse-cour pour éliminer son rival (magnifique scène où Joong-rae engueule exagérément un restaurateur inhospitalier), séduit la fille et couche avec elle. Elle s’en va. Pour se guérir de son absence, Joong-rae, resté seul, drague une autre fille, Sun-hee, en feignant d’être en train d’effectuer une enquête pour un film, la ramène dans sa chambre. Mais Moon-sook revient, aperçoit les deux amants… Cette situation de vaudeville va virer au psychodrame, parce qu’elle met en jeu les sentiments et les faiblesses des personnages : jalousie, remords, regrets. On ne badine pas avec l’amour, non, décidément, Joong-rae, tu es impossible, tu ne changeras donc jamais ?
Le film délivre, par à-coups, de vraies douleurs : l’impossibilité d’agir autrement, d’être un autre, de ne pas tomber en permanence dans les mêmes fautes, de profiter de son statut de créateur, malgré soi. Dans ces scènes, Hong ne triche pas, ne cache rien des larmes, de la culpabilité sans fin des êtres qui toujours retombent dans les mêmes manies, pièges, névroses. Et le cinéaste coréen de décrire au final ce que souhaite son héros : qu’on ne l’enferme pas dans des clichés, des mots, des qualificatifs trop faciles qui le réduiraient. Lâche, traître, sans cœur, infidèle, Joong-rae ? Peut-être, mais malgré lui. Et si on lui donnait une autre chance ?
Le film se termine par un plan magnifique, plein d’espoir, très simple, qui donne pour cela des frissons dans le dos. Moon-sook, esseulée, veut rentrer à Séoul en voiture après sa mésaventure sentimentale. Elle s’ensable sur la plage. Deux jeunes hommes s’approchent, se proposent pour l’aider. Chose faite, la voilà repartie vers de nouvelles aventures… La vie continue.
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