Montréal bout, l’été, dans ses chouettes festivals : nous sommes au très éclectique, très chercheur et très excitant MEG, et on vous raconte nos petites trouvailles et grandes confirmations, jour après jour, dans un blog quotidien.
Samedi 1er et dimanche 2 août
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On a vu pas mal de choses, en deux jours de fin de festival. On a vu des marmottes québécoises se faire tranquillement griller les rousseurs au soleil, à peine dérangées par les malotrus sur deux baskets qui leurs frôlent les papattes quand leurs cousines alpines, invisibles, détalent au moindre bruissement de pompe de randonnée. On a croisé un putois, enfin une mouflette, bref un animal très malodorant que l’on baptisera définitivement Puflette, histoire de célébrer le rapprochement québéco-français.
On a vu, parce qu’on est quand même un peu là pour ça, un sacré changement d’échelle pour le MEG, qui a sur deux jours quitté le centre ville et [attachment id=298]les salles chouettes et moites pour aller s’aérer les neurones dans l’immense Parc Jean-Drapeau, île artificielle et parc familial posé sur le remuant Saint-Laurent. Le MEG se fond ainsi, le week-end durant, dans le gros Osheaga (Arctic Monkeys, Roots, Coldplay, rien que ça) en allant planquer sa scène, clairement la plus agréable du festival, dans les arbres -drôle de petite forêt à circuits imprimés, étrange végétation électrisée.
On a vu, le samedi, un soleil de plomb se faire caresser par une jolie brise fluviale et faire bouillir un peu plus encore la masse humaine qui préfère le pointu et l’intime au cirque convenu des plus grosses scènes. Un peu raplaplis par la fatigue accumulée, et pas fan a priori, on a loupé La Roux –les avis autorisés des professionnels de la profession sur la prestation de l’Anglaise sont partagés, le nôtre est de toute façon fait depuis longtemps. Les Stills rempliront plutôt efficacement leur rôle, Lykke Li joue sa Lykke Li et conquiert les cœurs, haut la main, le furieux mélangeur Girl Talk, scène envahie, met une bonne dernière grosse claque à tous les présents, feu d’artifice final sur montagne russe rebrousse-poils.
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Un fil rouge pour le lendemain : H²O. On a vu de la flotte, beaucoup de flotte, des tombereaux de flotte, ça tombe comme à Gravelotte, des hallebardes, des chiens et des chats, bref beaucoup de pluie, un déluge à vrai dire –on a un instant cru devoir appeler Noé en renfort. On a cherché des bottes, on s’est fait conspuer pour avoir acheté un poncho plastique aux couleurs, horreur, malheur, du Canada et non du Québec, puis on est allé, toujours dans le Parc Jean-Drapeau, bravement patauger dans la boue. Herbe détrempée, océans de gadoue, holiday on ice en plein été et à chaque pas mal assuré : Jean Drapeau fait, aujourd’hui, moins le malin.
[attachment id=298]Scène du MEG, et impression d’assister aux premiers instants, chancelants, d’après l’apocalypse. Quelques survivants, foule plus clairsemée que l’amas presque trop important de la veille, s’amassent rapidement devant l’endroit de la renaissance. Rigolards, débraillés, méchamment efficaces, armés de tubes bazookas, les Naïve New Beaters, vive la France, réapprennent aux rescapés de l’humide fin du monde un premier réflexe absolument, définitivement vital pour l’espèce humaine : le fun. Ca remue, ça exulte, ça se bidonne et, surtout, ça finit évidemment en orgie hilare de danses foutraques et salopées dans la boue montréalaise –boum boum boum sur scène, flic flac floc dans la fosse aux outres.
Un peu plus tard, et après la prestation efficace mais pas tout à fait indélébile de Cursive, nouveau déluge, double cette fois : Tiga monte sur scène quand le ciel s’ouvre comme la Mer Rouge, et ses rugissements dantesques transforment le bonheur réinventé un peu plus tôt par les Naïve New Beaters en hédonisme trempé –les parapluies bondissent et les ponchos plastiques sont en flammes. On loupera malheureusement Crystal Castles : il est temps de quitter l’île, retrouver le Vieux Montréal, virer les fausses Crocs et détrousser le pantalon –l’élégance à la Française dans la boue québécoise- et se préparer pour le bouquet final.
[attachment id=298]H²O disions-nous. Le MEG Boat, dernier épisode du périple et pas des moindres, est ainsi l’extrémité parfaite de l’aquatique fil rouge de la journée. Le temps est de nouveau au beau et l’eau est désormais notre support officiel, à défaut d’être notre boisson favorite. Les gens aussi, sont au beau. Ils se massent sur un petit navire qui allait sacrément tanguer, coque électronique lâchée comme un poisson volant sur le Saint-Laurent, pendant 4 heures de joies innocentes –on craignait la claustrophobie, le plaisir sera finalement trop court.
Le Capitaine Stubbing fait trembler ses vieilles guiboles sur Donn Rimini, Isaac se frise la moustache et Gopher s’éclate dans les assauts fantastiques de Data, le Doc se luxe les synapses sur les boum boums de Djedjotronic ou de Milano : la croisière se murge, tout le monde se poile et la nuit vire au magique. Longer Montréal et ses docks grandioses, ses silos fantômes, vivre son histoire au fil de l’eau sans oublier de remuer (un peu) les fesses et de cramper (beaucoup) les zygomatiques, se réapproprier le fleuve et en faire une petite zone autonome pour pirates hilares fait la fierté du festival et celle des Québécois -et ils ont sacrément raison d’être fiers.
Photos : Sophie Samson
Vendredi 31 juillet
Collant et poisseux, encore. C’est pas l’avion, cette fois. C’est ce satané « facteur humidex » qui caracole vers le tropical et fait dégouliner les chairs. Et ce sont, surtout, les restes de poutine avinée, celle avalée la veille, à 3 du mat’ au Gourmet (rue Saint-Zotique), celle qui sauve des lendemains décédés ; mais celle qui supporte moins bien la chaleur estival que les congères d’hiver, et dont le fromage squish squish et la sauce brune semble désespérément vouloir fuir par tous les pores disponibles.
On peut pourtant, dans ces conditions extrêmes, survivre. Les miracles du corps humain, d’abord. Des biorythmes à gérer comme un ingénieur en auto-pharmacologie. Du café, plein, de la vitamine C, quand on en trouve et pour la forme, une Red Bull ou une Guru, en cas d’urgence, et surtout à peu près tous les types de bières produites au Québec, la Moosehead (bon, certes, du Nouveau-Brunswick), la Boréale, la fameuse 50 de Labatt, plein d’autres qu’on a oubliées entre temps -forcément. Le tout à alterner sans se planter, à équilibrer comme un alchimiste qui transforme la fatigue en patate, et renvoie le jetlag se coucher sans nous.
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Les miracles de la sudation musicale, aussi : ce soir encore, ce sera le moite moite moite Divan Orange, resobriqué pour l’occasion Sauna Orange. Pas de Fisherspooner pour nous ce soir –Warren Spooner DJsète au cabaret Juste Pour Rire, Maus aussi, mais on préfère une fois de plus la terra incognita aux remuages fessiers convenus. Et, taberouette!, on a eu bien raison. Première apparition : les Silly Kissers. Locaux. Foldingos. Exubérants. Enthousiasmants. Un peu « croches » sur scène, pour reprendre la terminologie locale, comprendre donc pas encore super en place, mais des morceaux pop Montypythoniens bourrés de contre-pieds dingos et de mélodies roudoudous, des chansons folles en hydres à huit têtes, chacune une bulle multicolore de gomme balloune aux lèvres et aux zygomatiques, un show improbable aux mimes dégénérés, et une chanteuse affreusement craquante, à tomber raide en 5 secs. Parfait pour assommer la fatigue, presque définitivement. [attachment id=298]Mais pour la tuer, la fatigue, et outre la Moosehead, il y a plus efficace encore : Meta Gruau (photo). Comme Noia la veille, de l’électricité pure –en l’occurrence et en revanche, ce n’est cette fois pas de l’atomique, mais une bonne vieille centrale à charbon. Un clavier tabasseur et crasse, un batteur chanteur aussi robotique que félin, un guitariste énervé et ses six cordes aux belles rouilles acouphéniques. Des morceaux suffisamment puissants pour faire redécoller Endeavour sans carburant. C’est drôle et méchant, ça tourne vite, ça secoue les couennes les plus lasses, ça uppercute à l’estomac. Et ça réactive très fortement le bulbe rachidien : derrière un son gros comme le Texas et bouillant comme Tijuana, et comme chez Duchess Says dont on ne se lasse pas de citer le nom, il y a une tripotée de morceaux méchamment bien troussés, qui pourraient transformer n’importe quel dancefloor surpeuplé ou salon solitaire en chambre capitonnée pour danseurs frappadingues. On aimerait bien prendre racine dans son parquet collant, mais le Divan Orange, c’est fini pour ce soir. On est tout à côté du lieu de résidence de Léonard Cohen, mais c’est Win Butler qu’on croise à l’extérieur, taillant innocemment la bavette avec quelques potos du coin. Normal, quoi. Puis on file s’achever, en off, à L’Esco : wock’n’woll, brillantine en excès et denim au cordeau, l’excellent Bloodshot Bill y éructe ce soir, ça rockabe dans tous les coins. Il est près de 3 heures : on fait face à une Belle Gueule dont la dernière gorgée, il fallait bien que ça arrive, finira par dégoûter. Retour au lit : l’alchimie a ses limites.Photo : Sophie Samson
Jeudi 30 juillet
Collant et poisseux, crevé et décalé, mais excité et optimisme, c’est dans une cité en joie qu’on débarque. Le genre de joie innocente, éclatante, magnifique, qui fait bondir les cœurs. Le genre de joie, aussi qui se remarque, partout, sur chaque visage, dans chaque regard. Car à entendre les lamentations Montréalaises, la renaissance printanière puis l’explosion estivale, cette année, ont plutôt ressemblé aux prolongations humides et moites des dépressions hivernales –été pourri et moral dans les bottes de pluie.
Puis un soleil de plomb et une mini canicule daignent pointer le bout de leurs dards, et la sérotonine fait des sauts-périlleux : Montréal pénètre, enfin, dans son été. Le soleil n’est pas le seul responsable des joies locales : dans une ville où la culture s’empare en permanence de chaque âme, ce week-end de la fin août est celui des festivals. Trois événements majeurs, Osheaga, les Francofolies et le MEG, qui se marchent joyeusement sur les pieds, imposent les choix cruciaux mais transforment la ville en joyeux concert géant.
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Pour nous, ce sera le petit de la bande. Le MEG, petit, mais costaud –faites un tour à cette adresse, admirez la programmation et enviez le périple sonique. Le MEG, de petites Transmusicales de Montréal, une scène dédiée à Osheaga, dans le Parc Jean Drapeau, mais surtout quelques concerts en ville, entre salles institutionnelles et lieux plus intimistes. Premier soir au Divan Orange plutôt qu’à l’Olympia –on a déjà vu les excellents Misteur Valaire, on se passe facilement d’Omnikrom, on préfère aller à la chasse à la nouveauté dans le bar de la rue Saint-Laurent.
[attachment id=298]Le Divan Orange. Chouette, très chouette troquet musical –la ville en compte des dizaines, mais celui-ci sort clairement du lot. Le Divan Orange est une cooperative qui fête bientôt ses 5 ans, et où des concerts ont lieu chaque soir, sans exception, programmé le Français Lionel Furonet (photo). Des petites formations bourgeonnantes à des celles qui ont déjà exporté leurs fleurs, des locaux ancrés aux immigrants temporaires, ils sont nombreux à avoir fait suer les clients de l’endroit -Marc Ribot, TV On The Radio, Fleet Foxes, Cœur de Pirate, Patrick Watson, Malajube, Karkwa, We Are Wolves ou Zoobombs notamment.
Quand la ville semble, disent certains, s’assoupir à nouveau après le tsunami Arcade Fire, quelques furieux semblent bien partis pour, à nouveau, réveiller les chairs, tabasser les synapses et faire rebondir les popotins poutinés. Ce sera le cas de Noia, notamment, chouette surprise : deux malades aux oreilles saignantes jouant derrière un voile fluo, de la musique pour Gameboy sous speed, un garage entièrement programmé en 8-bits, des assauts soniques démentiels et des soubresauts incontrôlables –mais, dans l’œil de l’ouragan [attachment id=298]sonique, quelques bouts de mélodies auxquels, les jambes en superballes caoutchouteuses étant devenues incontrôlables, la tête étoilée peut se raccrocher. De Noia, donc, aux tout aussi grandioses Duchess Says, des plus pop We Are Wolves au très arty Aids Wolf, c’est, semble-t-il, l’une des tendances lourdes chez quelques-uns des jeunes groupes du cru : installer les machines dans le garage, faire s’entrechoquer sauvagerie électronique, rugissements électriques et recherche formelle, et dynamiter toute velléité d’endormissement.
Autre plutôt bonne surprise de la soirée, sans doute un peu moins frappante que Noia, les bruyantes et chromées Cougarettes (photo) marquent aussi de quelques bleus les membres remuants : chanteuse lookée et incandescente –bien qu’il se dise qu’elle puisse faire surgir de plus grandes flammes encore-, groupe qui bucheronne son électro rock sans retenue, gros son et gros rythme, mais au final un léger manque de morceaux véritablement marquants. Ca viendra avec l’âge –et d’ici là, il reste une énergie joliment nucléaire.
Photos : Sophie Samson
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