En descendant lointain d’Alfred Hitchcock, Bonitzer réussit un drôle de polar psychanalytique, où la mémoire tue.
Lors d’un week-end entre “amis” chez le sénateur Pagès (Pierre Arditi), le séduisant psychiatre Pierre Collier (Lambert Wilson) est assassiné. Pour tous, il est évident que son épouse (Anne Consigny), qu’on a retrouvée prostrée à côté du cadavre, l’arme à la main, est la coupable. Or il s’avère que le pistolet qui a refroidi ledit Collier n’est pas le sien… Désormais, tous les autres convives, parmi lesquels deux de ses maîtresses (Valeria Bruni-Tedeschi, Caterina Murino) et un écrivain jaloux (Mathieu Demy), sont soupçonnables.
Après Pascal Thomas (Mon petit doigt m’a dit, L’Heure zéro, avant Le Crime est notre affaire, sur les écrans en octobre 2008), c’est Pascal Bonitzer qui se lance dans l’adaptation d’un roman d’Agatha Christie (Le Vallon). Et comme Thomas, Bonitzer tire Agatha Christie à la fois vers la comédie et vers son univers propre, l’accommodant à sa sauce, soit une sorte de lacanisme guilleret en forme de jeu d’échecs – ou la psychanalyse surréalisante au service de la fiction jubilatoire –, dont on trouve la meilleure illustration dans cette réplique géniale, prononcée par Miou-Miou après le crime : “Un meurtre ? J’ai cru à une farce, à une mise en scène. Comme si on voulait me faire croire que c’est arrivé alors que c’est vraiment arrivé. Mais est-ce que c’est arrivé ?”
Tant de logique mène au malaisant. Tous les personnages masculins souffrent ainsi chroniquement de dépression : Collier somnole quand il ne sait plus où il habite, Pagès se décrit comme “un pauvre type”, l’écrivain est alcoolique, le flic migraineux. Les femmes ne vont guère mieux : épouses ou maîtresses trompées ou délaissées, elles dépendent du désir des hommes. Un seul de ces personnages va mettre fin à l’étouffement qui l’étreint : le criminel.
Pourquoi ? Sans dévoiler la solution de l’énigme, il semble que l’idée du crime ait été déclenchée par la fin d’un oubli – plusieurs personnages du film souffrent ainsi de troubles de mémoire, comme cette vieille femme à qui Collier a rendu la mémoire et qui en souffre (Emmanuelle Riva). C’est le retour d’une refoulée, la torride ex-maîtresse de Collier, qui va rappeler au criminel qu’il a quelque chose à lui reprocher.
Dans Le Grand Alibi (titre ironique puisque, comme on l’apprendra, le principal alibi du coupable est sa prétendue connerie), c’est la mémoire qui tue. Pour vivre, il faut compter sur l’oubli. Bonitzer orchestre son ballet de comédiens en forme comme un descendant un brin mollasson d’Hitchcock (Le Grand Alibi est bien sûr le titre français d’un film d’Hitchcock, Stage Fright, célèbre pour son faux flash-back). Il sait qu’il est impossible de l’égaler, mais réussit ses dialogues et un beau finale, condensant dans une seule et même scène le début et la fin de Vertigo et la poursuite dans les monts Rushmore de La Mort aux trousses.