Le quotidien de yakuzas au service d’un chef de gang nostalgique d’une époque révolue.
On connaît la passion de Limosin pour le Japon (Tokyo Eyes), pays où il avait aussi tourné un documentaire-portrait sur Takeshi Kitano pour la collection Cinéma de notre temps. Cette fois-ci, le cinéaste français nous entraîne dans le sillage d’un homme tout à fait particulier, au métier encore plus singulier : M. Kumagai, chef yakuza de son état. Or M. Kumagai, comme on pourrait le deviner, n’a guère envie de dévoiler les arcanes de sa petite entreprise. Il a accepté d’être filmé par Limosin à la seule condition que “certains sujets” ne soient pas abordés. Et, en effet, dans Young Yakuza, on ne voit pas grand-chose, pour ne pas dire rien des activités criminelles de M. Kumagai, par ailleurs totalement revendiquées par lui.
Le documentaire nous montre la vie quotidienne de ses hommes, une vie de domestique essentiellement passée à lui préparer ses repas et à respecter des codes dignes de la légendaire cérémonie du thé, à se prosterner devant lui à tout bout de champ comme s’il s’agissait de l’Empereur en personne. Et même quand, dans une scène très kitanienne, les petits yakuzas se mettent à fouiller le fond d’une rivière et que notre imagination se met à gambader (que cherchent-ils donc ? une arme ? un cadavre ?), la solution, décevante et dérisoire, fait un peu flop : il ne s’agissait que d’une paire de lunettes de soleil perdue par l’un d’entre eux… On ne voit tellement rien du crime organisé dans ce portrait extrêmement en creux que deux attitudes s’offrent au spectateur : soit la peur (on se dit que ces activités, pour ne pas être visibles, doivent être terribles, littéralement obscènes, sanguinaires), soit le rire – et si, au fond, ces types un peu abrutis en costumes noirs ne faisaient effectivement… rien ? Car à voir ce que l’on voit et à entendre ce que l’on entend, et sans vouloir offenser M. Kumagai – nous n’avons pas très envie de nous réveiller avec une tête de cheval dans notre lit ou un petit doigt en moins –, la conclusion s’insinue rapidement : bureaux plutôt miteux ; propos nostalgiques sur le “bon temps”, quand les gangs servaient de régulateurs de la loi dans des galeries commerciales cradingues ; ignorance du passé parfois chargé (nous pensons surtout à leur casier judiciaire) de ses sbires : M. Kumagai et ses semblables ne semblent plus guère avoir de pouvoir.
Pis encore : Young Yakuza, qui commençait par l’entrée d’un jeune homme dans la bande de M. Kumagai et se poursuivait par sa fugue imprévue, prouve que l’on peut quitter un gang yakusa en toute impunité ; finalement, le jeune homme fera de la musique… Demeure la présence physique manifeste de M. Kumagai, qui restera à jamais un mystère de tristesse : regard fixe, démarche de félin, contrôle de chacun de ses gestes, sens de l’honneur hyperdéveloppé, lunettes noires et 4×4 à vitres fumées… Un homme seul appartenant à une époque révolue. Young Yakuza est un eastern crépusculaire.
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