Voyage au pays des requins. Documentaire écolo dont le discours radical éclipse les faiblesses artistiques.
On peut ne pas être sensible au style d’un film et souscrire à son discours. Et vice versa. Ainsi, Les Seigneurs de la mer est quasiment l’inverse du mémorable La Peau trouée de Julien Samani, incursion puissante et charnelle dans le monde (et la vie quotidienne) des pêcheurs de requins : jamais ce documentaire ne prend de distances ni de précautions (oratoires) avec son sujet. C’est là sa force. La peau et la chair du requin y sont essentiellement un matériau plastique que l’homme triture, façonne pour gagner sa vie. Dans Les Seigneurs de la mer, au contraire,
il y a d’emblée une polémique. Rob Stewart, jeune biologiste et photographe canadien passionné, explique qu’en exterminant les requins on est en train de fragiliser durablement l’écosystème des océans, poumons de la planète. Discours écolo contre discours esthétique. Que faire ? D’autant plus que Stewart, qui mène ce combat – certainement déjà perdu – pour la sauvegarde du requin, a plutôt mauvais goût et aime beaucoup s’exhiber. Sûr, il est joli garçon, mais on ne voit pas le rapport… L’essentiel de sa thèse repose sur le fait que le requin est quasiment inoffensif pour l’homme, ne causant que cinq décès par an dans le monde. Stewart démontre comment les squales deviennent doux comme des agneaux à son contact et lui mangent dans la main. Soit. Mais avait-il besoin de cette BO pop-rock (Nina Simone, Ry Cooder, Portishead, Aphex Twin, etc.), de ce montage tonitruant, de ce mélange des genres entre docucul sous-marin, journal de bord et brûlot militant ? L’épisode où le bateau-pirate de l’association Sea Shepherd de Paul Watson s’attaque avec perte et fracas aux pêcheurs de requins (en cheville avec la mafia taïwanaise) au large du Costa Rica, est le plus passionnant du film. C’est digne d’un thriller. Mais Stewart ne s’y attarde pas, passant d’un registre à un autre. Il se disperse. Bref, cette œuvre généraliste et informelle contentera le public dit moyen, mais risque de rebuter les cinéphiles puristes. Il vaut mieux laisser sa casquette critique au vestiaire et réagir au message politique.
Par ailleurs, le film a tout de même une vertu narrative : retourner les clichés qui ont fait du requin le grand méchant loup des océans ; transformer les saigneurs de la mer en seigneurs. Parfois, le cinéma est mécaniquement mortifère – comme dans Les Dents de la mer, qui n’est pas le meilleur Spielberg, et a installé durablement la phobie du requin. Stewart, lui, n’est pas un artiste, mais ses obsessions, son credo transcendent ses lacunes.