1989 : sortie de The Stone Roses, meilleur premier album de tous les temps selon les Anglais. 2009 : réédition de ce chef-d’oeuvre de pop céleste au groove flamboyant. Au sommet, le groupe explosera en plein vol… Histoire de l’un des groupes britanniques les plus marquants de la fin du siècle dernier.
Au mois de mars dernier, à l’approche des commémorations envisagées pour les 20 ans de la parution du premier album des Stone Roses, John Squire coupa court aux spéculations autour d’une possible reformation. Désormais reconverti à temps plein dans la peinture, l’ancien guitariste – et auteur des imitations de Jackson Pollock qui maculaient les pochettes et les guitares du groupe – se fendit d’un tableau sans équivoque où il se refusait à “profaner la tombe du groupe pop séminal de Manchester, The Stone Roses”. Les promoteurs, nombreux, qui étaient prêts à saigner leur mère en place publique pour faire remonter sur les planches le groupe éclaireur de la britpop pouvaient alors faire des confettis de leurs contrats. Désireux sans doute d’épargner un nouveau chapitre peu glorieux à l’histoire déjà bien lestée en pathétique de son ancien groupe, Squire préférait retourner à ses pinceaux plutôt que d’avoir à les tremper dans l’eau tiédie et forcément glauque des remariages forcés.
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[attachment id=298]Quelques semaines avant la tombée du couperet, le chanteur Ian Brown racontait pourtant dans une interview qu’il s’était peu à peu fait à l’idée de cette reformation. Après avoir reçu un coup de fil de John Leckie, le producteur du premier Stone Roses, qui l’invitait à venir travailler avec lui en studio sur la version remastérisée de l’album, Brown était alors persuadé que les trois autres membres du groupe avaient également été conviés, et qu’une fois sur place la question du retour aux affaires se poserait sûrement, avec de grandes chances d’aboutir. En réalité, Brown se retrouva seul avec Leckie à réécouter des kilomètres de “lost demos”, l’album original et les singles de l’époque, à dénicher l’inédit (pas terrible) Pearl Bastard ou à visionner ce concert fougueux de l’Empress Ballroom à Blackpool en 1989, qui figure en DVD bonus sur la spectaculaire réédition 20th Anniversary qui paraît ces jours-ci.
Et peut-être qu’alors lui aussi songea qu’il serait un peu idiot de troubler un si pur moment d’allégresse juvénile par une coda flétrie et sans panache. Après tout, les grands groupes de l’histoire de la pop anglaise, tous ceux qui eurent un impact générationnel colossal, ont su résister à la tentation du come-back. Les Beatles, les Clash, les Jam (avec Paul Weller), les Smiths : un voisinage qui vaut bien les millions de livres sterling qu’on laisse filer pour qu’un mythe repose en paix. Et malgré des états de service infiniment plus chétifs que leurs aînés sur le trône, les Stone Roses méritent à la seule faveur de cet album inusable – distingué à juste titre “meilleur premier album anglais de tous les temps” – leur place en d’aussi hautes sphères.
Le réentendre encore et encore, alors qu’il sonne plus arrogant et organique que jamais grâce au nouveau toilettage, demeure l’une des plus grandes sensations offertes par un groupe des eighties finissantes. En 1989, les Smiths ne sont déjà plus qu’un souvenir. Noel Gallagher accorde les guitares des Inspiral Carpets, Blur n’est qu’un vague projet encore prénommé Seymour et Alex Turner des Arctic Monkeys entre à la maternelle. Quant à Radiohead, il patine encore dans la case départ sous le nom vraiment pas sexy de On A Friday, alors que les journalistes du NME cochent plus volontiers les concerts des Happy Mondays sur l’agenda des rendez-vous immanquables.
Dans ce traditionnel moment de flottement des fins de décennie, les Stone Roses vont éclore au grand jour et occuper quasiment seuls un espace en reconstruction situé à mi-chemin de la chambrette indie-rock des années 80 et des champs à perte de vue des grands festivals qui marqueront les nineties brit-pop. Egalement agents de liaison entre le psychédélisme sixties du premier Summer of love et sa réplique acid-house des années 1987 et 1988, les Stone Roses tombent doublement à pic. Personne ne se doute alors que le boulevard qui s’offre à eux est en fait celui du crépuscule, que l’insolente beauté de leur jeunesse sera bientôt vitriolée par la came, la paranoïa et les trahisons, que ces Roses se faneront trop tôt et lamentablement, occasionnant le plus beau gâchis – avec celui des La’s – de toute l’histoire de la pop britannique. Mais pour l’heure, en ce mois de mai 1989, le monde est à portée de leurs mains.
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