Juliette Binoche plongée dans la tourmente de la bande de Gaza. A moitié convaincant.
Désengagement se partage sèchement, étrangement, entre deux veines du cinéma de Gitai, l’une à la fois théâtrale et intimiste (son versant bergmanien, celui de Kadosh), et l’autre plus documentaire. La première partie du film nous plonge dans l’univers calfeutré et asphyxiant d’une cellule familiale malade, voire dégénérée. Nous sommes alors en France et pénétrons en même temps qu’Uli, militaire israélien, dans la demeure de son père qui vient de mourir. L’y attend sa demi-sœur, Ana, folle de joie de revoir son frère et peut-être bien folle tout court.
Dans ce décor aristocratique décadent où repose le mort, la fille du défunt, à moitié hystérique, boit, divague, se confie et tente de séduire son frère. Cette déliquescence familiale très shakespearienne, sur le fil du rasoir, ne convainc pas tout le temps : elle frôle le ridicule quand, par exemple, Barbara Hendricks apparaît subitement en chantant. Mais elle parvient aussi à troubler quand Uli descend à la cave dormir au milieu de mendiants, ouvrant ainsi discrètement des trappes théâtrales et bibliques plus énigmatiques et intemporelles. Et puis c’est le grand courant d’air : Binoche quitte les oripeaux de la tragédienne juive et se laisse gifler et réveiller par le vent qui souffle sur la plate-forme israélienne où elle débarque avec son frère. Commence alors une tout autre approche de son personnage (jusqu’ici plutôt antipathique), un peu à la Ken Loach, dans le vif d’un présent secoué par l’histoire en cours. Le testament laissé par le père d’Ana la contraint à revoir sa fille, qu’elle a abandonnée à la naissance et qui vit dans un kibboutz situé dans la bande de Gaza. A ce même moment, l’armée israélienne s’apprête à faire évacuer les lieux. Le chaos n’est alors plus inhérent à Ana mais règne autour d’elle, comme un déplacement de son histoire personnelle (celle d’un éclatement familial) à une échelle plus vaste, nationale. En radicalisant cette rupture, le film prend le risque d’avancer sur une ligne forcée et tortueuse qui hélas ne fonctionne pas, le personnage d’Ana se métamorphosant de manière trop abrupte pour être crédible. Dès lors, même si cette seconde partie saisit par son réalisme brut, son accompagnement direct et sans commentaires des soubresauts du monde, elle ne fonctionne pas avec le reste du film, dont le projet même de travailler sur l’écart, le déplacement et le déracinement reste plus théorique qu’effectif.
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