Avec la même fraîcheur, la donne doillonienne n’a pas changé. Mais il souffle sur son petit dernier un vent de fantaisie tout nouveau.
Cinq ans d’absence des écrans, c’est long pour un cinéaste habitué à faire des films comme un boulanger fait son pain – un métier, un artisanat vital, une nécessité quasi quotidienne. Le Premier Venu, c’est l’étrange stratégie d’une jeune fille qui décide de séduire le premier garçon rencontré pour vivre son premier amour. Mais ce titre pourrait aussi symboliser le projet que Jacques Doillon est enfin parvenu à concrétiser dans un contexte global qui tend à marginaliser les cinéastes de sa catégorie et de sa génération.
Le hiatus, les difficultés, l’âge n’ont pas changé la donne cinématographique doillonienne et on le retrouve ici tel qu’en lui-même : des personnages jeunes ; des acteurs de sa “famille” (Thomassin, Saurrel, excellents), ou d’autres confirmant son don de découvreur (la cristalline Clémentine Beaugrand rejoignant la cohorte de jeunes gens accouchés par Doillon au cinéma) ; le monde ramassé en un lieu unique, comme une scène théâtrale (ici, la baie de Somme, sa luminosité, ses ciels délavés, sa topographie entre terre et mer, ses cahutes de pêcheurs dans les roseaux…) ; et, surtout, au cœur du projet et du désir du cinéaste, un dialogue épousant une tortueuse rhétorique de séduction à quatre bandes. Il y a ainsi dans Le Premier Venu comme une permanence de l’art particulier de Doillon : une façon de tout construire autour d’une parole très écrite, qui serait comme l’équivalent d’une partition musicale, et de lancer dessus les acteurs comme on lance les dés – leurs corps, leurs visages, leurs voix, leurs phrasés, leurs interactions occupant la place de l’instrument et de l’interprète, sous la baguette du chef d’orchestre cinéaste. Bien sûr, ce processus commun à la musique existe à divers degrés dans tout film, mais il est particulièrement accentué chez Doillon et constitutif de son cinéma, dans la mesure où l’essentiel repose ici sur la musicalité du dialogue, son interprétation par les comédiens, et non sur un récit ultracharpenté, sur une volonté de véhiculer un message fort ou sur des scènes visuellement spectaculaires.
Le vrai mystère chez Doillon, c’est le paradoxe entre sa pratique des multiples prises, épuisant toutes les possibilités d’un texte et de son incarnation, et la sensation de saisie sur le vif procurée par ses films. Paradoxe qui en induit un autre, entre l’artificialité théâtrale de certaines situations et la présence immédiate, brute, naturelle des acteurs. Comme les autres films de Doillon, Le Premier Venu a sans doute été fait selon cette méthode des quinze ou vingt prises en moyenne, mais dégage cette sensation grisante de pur présent jaillissant comme pour la première fois devant la caméra. Du cinéma ultracuit qui semble pourtant rose à l’arête.Il y a aussi de la “nouveauté” dans ce film : l’aspect comédie. De véritables moments de cocasserie surgissent de la façon de bouger de Thomassin, de la franchise et de l’accent du nord de Gwendoline Godquin, de la présence énorme et brute de décoffrage de Jany Garachana (bienvenue chez les Ch’tis !), ou encore de l’enchaînement tragi-comique de certaines situations un peu rocambolesques. Le petit théâtre amoureux de Doillon a conservé toute sa fraîcheur, il s’est enrichi d’une nouvelle couleur fantaisiste, comme un signe supplémentaire de la liberté de son auteur.
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